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de l’espoir chimérique d’une position plus relevée dans l’avenir ? Notons bien qu’il en est dans l’industrie comme dans l’armée. De même que, malgré la hiérarchie, maint brillant sous-lieutenant mène une existence beaucoup plus précaire que tel ou tel adjudant sous-officier des armes spéciales, de même un garçon d’origine modeste qui manie à l’occasion la lime ou le marteau ou souille ses mains de charbon, s’il jouit, en revanche, d’une position stable et lucrative, aura tort d’envier l’ingénieur civil de dernier ordre errant d’usine en usine, son certificat d’études en poche et gagnant à peine de quoi suffire à des habitudes moins simples et à des goûts plus raffinés. Hâtons-nous aussi de faire observer que, semblable à un sous-officier bien doué qui peut conquérir l’épaulette, l’ex-élève des Arts et Métiers, après des débuts d’apparence peu relevée, s’élève quelquefois d’échelon en échelon jusqu’à atteindre des situations des plus enviables. Nous avons naguère parlé de la carrière de mécanicien de la marine et mentionné le grade supérieur auquel conduisait ce dur métier une fois honorablement poursuivi[1]. Nous pourrions citer aussi des noms d’industriels plusieurs fois millionnaires.


Certes, nous n’osons pas affirmer que tous les élèves, fraîchement sortis de l’École d’Aix ou de ses deux sœurs, soient des garçons accomplis, surtout au point de vue de l’éducation. Mais au bout de trois années de travaux et d’épreuves, les paresseux, les indisciplinés, les bruyans, ont été peu à peu éliminés, et ce sont les sujets laborieux et paisibles qui constituent la majorité des promotions sortantes. Nos jeunes gens ont, à leur actif, l’énorme avantage d’avoir été habitués à une vie claustrale et très rude ; pour beaucoup de postes qui n’exigent pas des connaissances trop supérieures ou s’écartant trop du programme qu’on leur a enseigné, ils sont préférables, au point de vue de la régularité, pour des travaux quotidiens et fastidieux, aux jeunes centraux plus instruits qu’eux au fond et tout aussi intelligens, mais qui, après trois années de séjour à Paris, ne s’accommodent pas quelquefois d’une occupation absorbante dans une résidence trop isolée. Il est même à noter qu’en dépit d’une lacune des programmes de l’École d’Aix, on peut tirer parti des élèves des Arts et Métiers comme chimistes d’usine. Bien qu’ils n’aient jamais manié de réactifs durant leurs trois années

  1. L’année dernière, on a vu figurer à la table d’honneur d’un des banquets donnés à Cronstadt un ancien élève des Arts et Métiers d’Aix, originaire d’un petit bourg du département du Var et qui, embarqué jadis comme simple mécanicien de la flotte, est parvenu dans la marine française à une situation le mettant de pair avec les hauts dignitaires de l’escadre.