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découvertes faites au cours de leur voyage par ses deux principaux personnages, sir Mordaunt Ballinger, baronet, membre du parlement, et miss Grâce Ballinger, sa sœur, est un fil des plus ténus et des plus légers, le fil qui, dans les romans à thèses, sert pour coudre entre elles des déclarations de principes, des discussions philosophiques ou autres. Sir Mordaunt va chercher l’occasion de quelques placemens avantageux dans les mines, les villes en construction ou les grands centres d’élevage du Nouveau-Monde, et Grâce l’accompagne un peu par curiosité, beaucoup pour avoir le plaisir d’être avec son frère ; c’est une fille de vingt-cinq ans, belle, franche, énergique, intelligente, prompte à s’intéresser aux choses qu’elle rencontre. Sir Mordaunt, lui, est le type accompli du gentleman et de l’ancien guardsman : de haute mine, admirablement bien fait, la tête trop petite seulement pour sa grande taille, peu profond, avec toutes les qualités bonnes et mauvaises de sa nature étalées en montre pour ainsi dire, de sorte que le premier venu peut en embrasser l’ensemble d’un coup d’œil, parfaitement droit et loyal du reste, aimant le plaisir et le flirt, dans les bornes qui sont compatibles avec des manières irréprochables. Le père de sir Mordaunt et de miss Grâce, un homme politique, deux fois ministre, a joué un rôle international considérable, son nom est célèbre en Amérique ; tout semble donc préparé pour que l’arrivée de ses enfans aux États-Unis ne passe pas inaperçue, pour que la société des différentes villes qu’ils visiteront se donne en spectacle à eux tout en les fêtant. Ceci commence dès le bateau où un premier chapitre fort bien mené nous fait faire connaissance avec presque tous ceux qui nous intéresseront par la suite : Quintin Ferrars, d’abord un de ces Américains taxés d’anglomanie, qui ne trouvent rien de bon chez eux. Il n’y a dans son accent, dans le tour de ses phrases, nulle trace de ce que les Anglais appellent l’américain, de ce que les Américains revendiquent comme un héritage des ancêtres puritains qui, à les en croire, ont dû leur transmettre le plus pur anglais. Ferrars est un de ces cosmopolites qui oscillent incessamment entre l’ancien et le Nouveau-Monde, dénigrant le dernier dans des ouvrages littéraires dont il ne recueille pas la gloire, car il ne signe jamais.

Type tout opposé, Paul Barham, professeur à l’université de Harvard, esprit supérieur dans un corps fragile, patriote convaincu et intelligent, — déplorant les tares et les imperfections de l’état embryonnaire actuel, mais sûr de l’avenir. Il revient, malade encore des eaux d’Aix-la-Chapelle. Sa mère l’accompagne, une personne austère et douce, compagne admirable d’un clergyman de la Nouvelle-Angleterre.