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servir, soit à la teste de nos armées ou sur la carrière pour les actions de plaisir : je veux en sçavoir non-seulement ce qui m’est nécessaire comme roi, mais aussi ce qu’il en faut pour atteindre à la perfection de cet exercice, afin de cognoistre parmy tous ceux de mon royaume les plus dignes d’estre estimez. » M. le Grand répond : « Sire, Vostre Majesté a raison de souhaiter passionnément d’apprendre le plus beau, et le plus nécessaire de tous les exercices qui se pratiquent au monde, non-seulement pour le corps, mais aussi pour l’esprit, comme M. de Pluvinel luy donnera parfaitement à entendre, estant très aise de ce qu’il a encore assez de vigueur pour enseigner à Vostre Majesté la perfection de cette science. » Le roi demande à M. de Pluvinel en quel sens il entend que l’exercice du cheval n’est pas seulement nécessaire pour le corps, mais aussi pour l’esprit. Pluvinel répond : « L’homme ne le peut apprendre qu’en montant sur son cheval, duquel il faut qu’il se résolve de souffrir toutes les extravagances qui se peuvent attendre d’un animal irraisonnable, les périls qui se rencontrent parmi la cholère, le désespoir, et la lascheté de tels animaux, joincte aux appréhensions d’en ressentir les effects. Toutes lesquelles choses ne se peuvent vaincre ny éviter, qu’avec la cognoissance de la science, la bonté de l’esprit et la solidité du jugement : lequel faut qu’il agisse dans le plus fort de tous ces tourmens avec la même promptitude et froideur que fait celuy qui, assis dans son cabinet, tasche d’apprendre quelque chose dans un livre. Tellement que par là Vostre Majesté peut cognoistre très clairement, comme quoy ce bel exercice est utile à l’esprit, puisqu’il l’instruict et l’accoustume d’exécuter nettement, et avec ordre, toutes ces fonctions parmi le tracas, le bruict, l’agitation et la peur continuelle du péril, qui est comme un acheminement pour le rendre capable de faire ces mesmes opérations parmy les armes, et au milieu des hazards qui s’y rencontrent… » Pluvinel explique ensuite au roi la différence qui existe entre le bel homme à cheval et le bon homme de cheval et, parlant de ce dernier, il dit : « Pour estre parfaitement bon homme de cheval, il faut sçavoir, par pratique et par raison, la manière de dresser toutes sortes de chevaux à toutes sortes d’airs et de manèges ; cognoistre leurs forces, leurs inclinations, leurs habitudes, leurs perfections et imperfections, et leur nature entièrement ; sur tout cela faire agir le jugement, pour savoir à quoi le cheval peut estre propre, afin de n’entreprendre sur luy que ce qu’il pourra exécuter de bonne grâce : et ayant cette cognoissance, commencer, continuer et achever le cheval avec la patience et la résolution, la douceur et la force requise, pour arriver à la fin où le bon homme de cheval doit aspirer ;