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C’est le prendre bien haut, mais si sévère qu’il soit pour la cuisine des femmes, M. Nietzsche ne dirait pas comme le maître qu’il a renié : « Il a fallu que l’intelligence de l’homme fût obscurcie par l’amour pour qu’il ait appelé beau ce sexe de petite taille, aux épaules étroites, aux larges hanches, aux jambes courtes. « Il ne méprise point ces jambes courtes, ces hanches larges, et il s’est plu à raconter qu’un jour le grand Zarathustra, étant sorti de sa caverne pour chercher un puits, rencontra en traversant une clairière des jeunes filles qui dansaient, et qu’il leur dit : « Continuez vos jeux, mes chères petites. Je ne suis point votre ennemi. Comment vos danses légères et divines pourraient-elles me déplaire ? J’aime les pieds de jeunes filles quand leurs chevilles sont belles. Croyez-moi, il y a des allées de roses sous mes cyprès, et voyez plutôt, le petit dieu que vous aimez est couché là, près du puits, les yeux clos ; mais il ne tient qu’à vous de les lui faire ouvrir. »

M. Nietzsche appelle la femme « une dangereuse et belle chatte. » Il la compare aussi à un oiseau tombé du haut des airs, qui nous apporte des nouvelles d’un monde que nous ne connaissons pas ; aussi faut-il l’enfermer bien vite, le tenir en cage, de peur qu’il ne s’envole. Mais souvent aussi il est plus brutal ; il traite la femme d’animal agréable, à la fois domestique et sauvage, que nous devons entretenir, caresser, ménager, mais réduire à l’obéissance, en ayant soin de nous en faire craindre et de le menacer du fouet : c’est un conseil qu’une vieille sorcière donna jadis à Zarathustra. Si nous consultions notre instinct naturel, la haute sagesse des Orientaux, qui tiennent la femme en servitude, nous paraîtrait admirable, et si les femmes étaient plus avisées, elles comprendraient que leur intérêt est de nous ressembler le moins possible. Ce que nous aimons en elles, c’est qu’elles sont plus près de la nature que nous ; il y a dans ces oiseaux toujours prêts à s’envoler quelque chose d’aérien, de léger, d’insaisissable et d’étrange, qui nous amuse et nous charme. Laissez faire nos nouvelles pédantes, dit M. Nietzsche, et la femme ne sera bientôt plus pour l’homme que le plus noir de ses ennuis.

L’Europe ne sait plus ce qu’elle fait, l’Europe ne sait plus où elle va. Elle marche à tâtons dans les ténèbres, les idées modernes l’ont affolée. Vous travaillez, dites-vous, au bonheur des petits. Insensés ! les idoles que vous adorez n’ont jamais fait le bonheur de personne. Ces faibles, ces infirmes que vous émancipez, croyez-vous qu’ils soient heureux ? On ne l’est jamais quand on se révolte contre son instinct, et leur instinct est d’obéir, d’aimer la main qui les conduit et même de bénir la main qui les frappe.

M. Nietzsche, qui ne craint pas de se contredire, a l’ascétisme en horreur, et il a écrit des pages admirables sur l’utilité de la souffrance.