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les places qu’on ne s’empressait pas de leur donner et les biens que la charte défendait de leur restituer. Les plaintes s’élevaient autour du trône. « Des régicides, des factieux, de misérables bonapartistes, écrivait à Blacas le chevalier de Saint-Aignan, obtiennent des places, des dignités, des pensions, et je suis réduit à mendier aux portes du palais de mon souverain une récompense qui m’est due et que je ne devais attendre qu’autant de temps qu’il en aurait fallu pour s’enquérir et s’acquitter. » Jusque dans la chapelle des Tuileries, on condamnait la faiblesse et l’égoïsme de Louis XVIII. On l’appelait, comme la petite cour de Coblentz avait appelé le malheureux Louis XVI : le roi des Jacobins. « C’est à Hartwell, disaient les mécontens, qu’il a pris ces idées libérales. Il n’avait pas le droit de donner cette constitution abominable. Il s’est fait le complice des révolutionnaires en consacrant dans la charte la spoliation de nos biens. Et quel droit peut avoir un roi de disposer du bien d’autrui ? Mais que lui importe, pourvu qu’il mange, qu’il devine des charades et qu’il écrive de petits billets[1] ! »

Ainsi parlaient ceux que l’on accusait d’être « plus royalistes que le roi. » Ils l’étaient, en effet, et non sans motif. La charte n’empêchait pas Louis XVIII de vivre en roi, avec une liste civile de 24 millions, mais elle empêchait les émigrés de recouvrer leurs biens et leurs privilèges. On disait au faubourg Saint-Antoine : « Quand le roi a dîné, il croit son peuple heureux. » On aurait dit non moins justement au faubourg Saint-Germain : « Le roi est rentré aux Tuileries, il croit que nous sommes rentrés dans nos châteaux. » Or, en fait de châteaux, beaucoup d’émigrés, qui avaient épuisé leurs dernières ressources pour venir à Paris, habitaient des mansardes. Au mois de décembre, plusieurs d’entre eux, dénués de tout et las d’espérer, retournèrent en Angleterre reprendre leurs modestes places de professeurs.

La bourgeoisie, devenue déjà quelque peu mécontente de ce qui se passait, était surtout inquiète de ce qui pouvait survenir. Le langage des journaux l’irritait, les propos des royalistes l’exaspéraient, leurs prétentions l’alarmaient. « On va maintenant jusqu’à faire un crime de ce qui a fait le plus d’honneur, écrivait Bondy à Suchet : aimer son pays, être bon Français, gémir sur les maux qui l’ont accablé. » — « Qu’un noble devienne ministre ou officier,

  1. Rapports de police, 29 juillet, 2-27 septembre, 9 novembre. (Archives nationales F7, 3738, F7, 3773.) Chabannes, Lettres 36, 91, 73. J.-P. Brès à son oncle. Paris, 4 juillet. (Archives des affaires étrangères, 675.) Wellington à Castlereagh, 4 octobre : « Les émigrés sont aussi irrités contre le roi que les jacobins et les bonapartistes. » (Dispatches, Supplément IX.)