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Dévoûment aux Bourbons, après avoir eu des entrevues sans nombre avec Vitrolles, avec Blacas, avec Malouet, avec Beurnonville, avec le duc d’Havre, ce Scapin tragique pensait à renverser le roi, puisque le roi tardait à le faire ministre.

Dès le mois de juillet 1814, Fouché avait conçu le projet de remplacer Louis XVIII par le duc d’Orléans, qui, fils d’un régicide et soldat de la révolution en 1792, aurait pour lui, pensait-il, les libéraux, les jacobins et même les bonapartistes. Il s’en ouvrit à Talleyrand, alors assez mécontent de la tournure des choses et du peu de cas que l’on faisait de ses conseils sur la politique intérieure. Talleyrand parla discrètement au duc d’Orléans, mais celui-ci l’écouta avec froideur, et, sans nommer personne, il rapporta, dit-on, l’entretien au roi. Le prince se dérobant, les deux compères revinrent à l’idée d’une régence, ce rêve qui les avait hantés pendant la dernière campagne de Napoléon. Un complot fut formé ou plutôt ébauché avec la connivence de plusieurs officiers-généraux, d’anciens révolutionnaires et de meneurs du faubourg Saint-Antoine. Les moyens d’exécution consistaient en un mouvement sur les Tuileries d’une partie de la garnison de Paris, appuyée par les faubourgs en armes. Le but était la proclamation de Napoléon II, avec Marie-Louise régente et le prince Eugène, Talleyrand, Fouché et Davout, membres du conseil de régence. Avant d’agir, il fallait connaître les sentimens de Marie-Louise, du prince Eugène, de la cour de Vienne. Il fallait surtout que Napoléon fût éloigné de l’Europe, car on craignait qu’il n’eût pas assez d’abnégation pour ne point vouloir profiter personnellement de cette révolution. Marie-Louise se trouvait alors aux eaux d’Aix, en Savoie ; on lui dépêcha Corvisart et Isabey. Fouché écrivit à Eugène, et, le 16 septembre, Talleyrand, désigné par le roi comme son plénipotentiaire au congrès, partit pour Vienne. Tout en y défendant « les principes du droit des gens, » il allait travailler à faire déporter Napoléon dans une île de l’océan. Ce n’était point que le prince de Bénévent se fût entièrement livré à Fouché et à ses complices, mais, dans cette circonstance comme dans tant d’autres, cet homme à double face agissait à deux fins. En poursuivant l’enlèvement de Napoléon, il servait Louis XVIII, et il secondait, en même temps, sans se compromettre, le parti qui se préparait à le renverser. « Double intrigue, dit Barras, intrigue perpétuelle de Talleyrand comme de Fouché ! »

Fouché, du reste, rêvait pour l’empereur un exil plus sûr. L’un de ses affidés fit proposer à Louis XVIII de donner son assentiment à l’assassinat de Bonaparte. L’assassin, paraît-il, était trouvé ; mais les conspirateurs voulaient pouvoir accuser plus tard de ce