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Ce n’était donc pas une condamnation après jugement, c’était une précaution plutôt, un acte personnel du souverain, une correction paternelle. Cette expression est reprise par M. A. Joly, au cours d’une étude sur les lettres de cachet dans la généralité de Caen.

En 1773, le chevalier de Baillivy écrivait dans un libelle sur, ou plutôt contre les lettres de cachet : — « Les lettres de cachet, considérées dans leur principe, ne sont que des grâces particulières que le roi veut bien accorder aux familles pour les soustraire au déshonneur auquel, suivant le préjugé, elles craignent d’être en but. » Vergennes disait en 1781 : « Il est une foule de cas où le roi, par un effet de sa bonté paternelle, se prête à corriger pour empêcher la justice de punir. » C’est ainsi que Saint-Florentin en arrive à écrire : « Un ordre du roi est plutôt une faveur qu’une punition ; » et que Malesherbes, en 1789, dans son mémoire à Louis XVI, répète : « La famille a intérêt à soustraire son parent à une condamnation infamante ; quand le roi, par bonté, veut bien soustraire un coupable à la rigueur des lois en le faisant enfermer, c’est une faveur. » — Qui aurait cru trouver ces expressions appliquées aux lettres de cachet ?


II

L’ordre du roi expédié par le ministre, sur un rapport du lieutenant de police, a été sollicité par les parens de l’inculpé. C’est le père, premier juge de ses enfans, qui réclame l’assistance du pouvoir royal. — « Le père seul, écrit Malesherbes, a le droit de demander une lettre de cachet. » — Quand l’honneur de la famille est en jeu, les hommes de naissance commune ne se montrent pas moins sévères que les gens de qualité. Un vitrier nommé Allan, qui demeurait rue Neuve-Guillemain, et courait les rues de Paris, guettant les carreaux cassés, expose devant le commissaire de police qu’il a sollicité une lettre de cachet contre son fils, parce que celui-ci « lui donnoit de justes motifs, par son penchant à la friponnerie, de craindre des suites infamantes pour sa famille. » L’excellent homme déclare d’ailleurs être si pauvre qu’il lui serait impossible de payer la moindre pension pour le détenu. Henry Clavel, « acteur-comédien, » demande que son fils soit enfermé à Bicêtre, où il paiera une pension de 150 livres, « parce qu’il y a lieu de craindre que ce fils, qui est hors d’état de gagner sa vie, ne déshonore sa famille par une fin malheureuse. » Louis Armand, marchand éventailliste, fait enfermer sa fille Euphrosine à la Salpêtrière « parce qu’il se voit à la veille d’être déshonoré par la