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beau-père du marquis de Brisay, ajoute annuellement mille livres aux deux mille que ses créanciers lui abandonnent. On en informa M. Pinon, qui se récria : — c’était trop cher ! — et il manda au ministre que le marquis avait des enfans que lui, Pinon, se voyait obligé d’élever, qu’il avait hébergé Brisay pendant douze années, et qu’il était tout au plus disposé à majorer la pension de-cinq cents livres. Dans une deuxième lettre adressée au secrétaire d’État, peu de temps après la première, M. Pinon représente le séjour de son gendre à la citadelle de Lille, « dont l’auberge est toujours pleine d’officiers et de filles comédiennes, » comme étant de nature à entraîner le prisonnier à des dépenses, il demande que le marquis soit transféré au fort l’Escarpe-lez-Douai ou au fort Saint-François, près d’Aire.

Les circonstances où les lettres de cachet s’expliquent le mieux, les seules où l’esprit moderne puisse les admettre, c’est quand elles ont eu pour but de soustraire un coupable à la terrible jurisprudence de l’époque, appliquée par les tribunaux, châtelet ou parlement, et d’épargner à toute une famille la réprobation qu’aurait entraînée pour elle une condamnation toujours prononcée avec appareil et éclat. L’action des lettres de cachet, se greffant de la sorte sur l’action judiciaire, est particulièrement intéressante à étudier parmi la classe populaire.

Au cours d’un rapport au lieutenant de police, rendant compte d’une patrouille faite, le 31 janvier 1751, dans le quartier Saint-André-des-Arcs, l’inspecteur Poussot exposait qu’on avait arrêté un nommé François Bunel, soldat aux gardes françaises, dans une sanglante bagarre au fond d’un cabaret ; puis, il se découvrit que cet individu était chargé de plusieurs vols et qu’il vivait associé à une fille de la pire espèce. Aussi fut-il recommandé d’ordre du roi au Grand-Châtelet ; mais sa mère, qui était veuve d’un soldat aux gardes françaises, pour éviter à son fils et à toute sa famille la honte d’une condamnation prononcée par le tribunal, parvint à s’arranger avec la partie civile, et obtint que le président de Boulainvilliers lui-même, chez qui avait été commis l’un des vols, écrivît au procureur du roi pour demander, conjointement avec la famille, que Bunel pût s’engager pour les îles ou fût enfermé par lettre de cachet à Bicêtre, ce qui l’enlèverait à la juridiction du Châtelet. Ainsi fut fait. Les sergens recruteurs pour le régiment de Briqueville trouvèrent notre homme à Bicêtre. Il était de bonne taille, et le lieutenant de police l’autorisa à contracter un engagement avec eux. Une lettre de cachet en date du 22 mars leva l’écrou du prisonnier, tandis qu’une autre l’exilait à la suite du régiment de Briqueville-infanterie dans lequel il allait prendre