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parricide. » — La lettre de cachet obtenue par la mère de François Bunel ne sauva pas seulement le jeune garde française de la potence, elle le sauva moralement et le réhabilita, et transforma en un honnête homme utile à son pays, le misérable perdu de mœurs et qui, au fond des bouges les plus mal famés de Paris, tombait dans une dégradation de plus en plus grande. De nombreux dossiers, semblables à celui de François Bunel, nous ont passé sous les yeux.

Ajoutons que les parens, soucieux de garder l’honneur de la famille, n’obéissaient pas toujours à un émoi aussi légitime. Une dame Leblanc s’obstinait à vivre auprès de son mari, bien que celui-ci n’eût plus de fortune : — « par un entêtement, disent les textes, que son confesseur même n’a pu vaincre. » — La mère de la jeune femme la fit enfermer aux Mathurines. — « Ce n’est qu’avec douleur, écrit-elle à la supérieure, que j’ai vu ma fille réduite au sort qu’elle éprouve, et il est affreux, sans doute, d’être privée de la liberté quand on n’a à se reprocher qu’un attachement trop grand pour son mari. »

Aussi bien le lieutenant de police jugeait-il souvent les parens trop sévères et, au lieu de la lettre de cachet sollicitée, mandait-il dans son cabinet le père et la mère, avec la jeune personne qui n’en voulait faire qu’à sa tête. La fillette écoutait, confuse de l’aventure, les réprimandes du magistrat, et au lendemain, nonobstant la menace d’une lettre de cachet qui devait punir sa désobéissance, en aimait davantage son amoureux. Ces épisodes d’un caractère paternel et gracieux nous offrent la vivante peinture de l’époque.

Lorsque les parens négligeaient d’intervenir pour réprimer les désordres de leurs enfans, il arrivait que des locataires de la maison, des voisins, des personnes du quartier envoyaient à la lieutenance de police l’expression de leur indignation. Ces détails sont précieux pour l’histoire de la population parisienne en ce temps. Le dossier d’un jeune garde française nous tombe encore sous la main. Il avait fait rencontre d’une modiste qui se nommait Marie et qui venait d’atteindre ses dix-sept ans. Les enfans s’étaient logés sous les combles, dans une grande maison de la rue des Bourguignons, appartenant au chevalier d’Hautefort. Leur petite mansarde dominait les toitures environnantes. Dans des caisses pleines de sable, placées sur l’appui de la fenêtre, ils avaient semé du liseron, et les fleurs, détachant leurs vives couleurs sur les feuilles vertes, entre lesquelles on voyait des morceaux de ciel, avaient grimpé le long des fils de fer. Ils se croyaient délaissés dans leur bonheur, quand arriva à la lieutenance de police une lettre signée « Thierry Petit, principal locataire des maisons et