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Saint-Médard et, qu’ayant eu la douleur de le perdre, ils l’avaient fait enterrer dans la même paroisse : — « Comme le suppliant et la jeune fille, dit-il en terminant, habitoient toujours ensemble, M. le curé de la paroisse les fit séparer, en faisant mettre le suppliant à Bicêtre, d’où il est sorti, et la jeune fille à l’hôpital, où elle est actuellement. Ledit Foulard plein de probité et de religion demande, pour réparer l’honneur de cette orpheline, de l’épouser, et ladite fille, qui ne désire rien tant que de vivre ensemble, supplient avec instance Votre Grandeur de vouloir ordonner qu’ils soient mariés dans l’hôpital. » — La conclusion de notre petit roman se trouve dans deux rapports, l’un de l’abbé Delevacque, desservant la Salpêtrière, l’autre de l’inspecteur de police Roussel. Le mariage fut célébré le 29 juillet, et l’inspecteur, rendant compte de la cérémonie, rapporte que « les ordres du magistrat y ont été exécutés avec toute l’exactitude possible. » Nos jeunes gens rendus libres purent s’aimer régulièrement, et rentrer, sans scandaliser le voisinage, dans leur petite mansarde de la rue des Bourguignons.

On a remarqué que les curés placés à la tête des différentes paroisses de Paris jouent un rôle important dans l’histoire des lettres de cachet ; surtout lorsqu’il s’agit d’affaires semblables à celle qui précède. Le zèle mis par eux à ramener celles de leurs ouailles qui se sont égarées dans la voie du siècle, les conduit parfois à des rigueurs excessives. Jeanne Velvrique avait, en 1751, vingt et un ans. Elle était, pour nous servir des expressions de l’abbé Feu, curé de Saint-Gervais, « douce et timide, gracieuse et jolie. » Une « femme du monde » s’empara de son esprit et lui procura la protection d’un Américain. Le curé intervint : — « L’Américain a parlé raisonnablement, écrit-il au lieutenant de police, à deux personnes que je lui ai envoyées. » — Tout allait s’arranger quand on découvrit que cet homme raisonnable n’était pas seul à faire le bonheur de la joyeuse fille et qu’un nommé Lheureux, facteur des lettres de la Salpêtrière, « homme pernicieux, » écrit le vieux prêtre, n’était pas moins avant dans ses laveurs et beaucoup moins disposé à y renoncer : — « Je réclame ma brebis, écrit le curé de Saint-Gervais au lieutenant de police, et j’espère que vous aurez la bonté, monsieur, de la faire arrêter et mettre à Saint-Martin, où elle se convertiroit, puis je la mettrois dans un couvent. » — Il faut noter que Saint-Martin était la plus rude prison pour femmes qu’il y eût à Paris. Berryer manda au commissaire de Rochebrune de s’informer des faits : — « quelle est la conduite de la jeune fille ? si elle cause du scandale, si elle a des parens, si elle loge chez eux et, dans le cas où il faudroit la corriger, si ses parens sont en état de payer une pension ? » — Rochebrune répondit