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d’une belle-mère acariâtre, soutenue par ses filles, y sont au long retracés. Le dossier est bourré de récits de bonnets déchirés, d’armoires vidées, de pot-au-feu volé, de corrections peu décentes administrées en pleine rue par le mari à sa femme. Et qu’on n’imagine pas que ce sont des renseignemens qui se sont trompés d’adresse. Pendant deux ans l’intérêt du ministre est tenu en éveil. » Encore si après ces deux ans l’affaire était terminée ; mais le ministre demande des éclaircissemens nouveaux, et le subdélégué lui écrit « qu’il ne manquera pas de lui donner avis de ce qui se passera dans ce ménage. »

On ne retrouve pas des correspondances semblables dans les dossiers concernant les lettres de cachet parisiennes, parce que la distance entre Paris et le ministère n’existait pas, et à cause de l’organisation de la lieutenance de police qui, par ses commissaires et ses inspecteurs, fournissait rapidement au ministre les renseignemens désirés. Néanmoins le secrétaire d’État, ayant le département de Paris ne donnait pas un moindre soin aux affaires de famille sur lesquelles son attention était attirée.

Qui n’a gardé le souvenir de l’une des scènes les plus curieuses tracées par Marivaux dans sa délicieuse Vie de Marianne, peinture fine et précise des mœurs contemporaines ? C’est une assemblée de famille dans le cabinet du secrétaire d’Etat. On parle d’une lettre de cachet sollicitée contre une jeune fille, Marianne, qu’un jeune homme de qualité voudrait épouser, bien qu’elle fût sans naissance ni biens. La discussion est longue ; le ministre fait comparaître Marianne ; il écoute chacun avec intérêt. À lire Marivaux, on pourrait croire que le ministre ne prenait tant de soins que pour des familles aristocratiques ; mais en dépouillant nos dossiers, nous voyons d’humbles bourgeois, nous voyons même des gens du peuple trouver pareil accès dans son cabinet.

Claude Huisse était un cabaretier du Pré-Saint-Gervais, ivrogne et brutal, qui battait sa femme, lisons-nous dans les textes, jusqu’à la « briser de coups. « Il avait un autre défaut, étant « si fol que, malgré qu’il fut endetté prodigieusement, il se mettoit comme un mousquetaire, en chapeau brodé, avec une cocarde verte galonnée d’or, et avoit commandé à son tailleur un habit de 600 livres. » Il fut mis à Bicêtre. Après deux mois, la femme, qui avait sollicité sa détention, réclama sa mise en liberté. Saint-Florentin, duc de La Vrillière, ministre de la maison du roi, écrit au lieutenant de police d’ordonner une enquête par le prévôt du Pré-Saint-Gervais, laquelle le mettra à même de se prononcer sur l’opportunité de cette mesure. Le prévôt rédigea un rapport détaillé, où il représenta le prisonnier comme un homme d’une violence extrême, d’un esprit