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jadis à l’art par l’esprit de la Renaissance. Non pas du tout que la Renaissance, à son heure, et ainsi qu’on l’en accuse aujourd’hui trop complaisamment, ait rien tué, rien détruit en son germe qui ne fût déjà mort et bien mort. Ceux-là seuls peuvent le croire qui n’ont pas assez lu nos vieux chroniqueurs bourguignons, ou les poésies de Jean Meschinot et de Guillaume Cretin, le Raminagrobis du roman de Rabelais. Mais, au lieu de chercher les modèles d’un art nouveau là où ils sont toujours, dans la nature et dans l’humanité, prosateurs et poètes, il faut bien l’avouer, Rabelais, que je viens de nommer, ou Ronsard et Baïf, alourdissant leur verve du poids de leur érudition, c’était à l’Italie, c’était surtout à l’antiquité qu’ils les avaient demandés. Une traduction du grec, — exquise d’ailleurs en son vieux style, supérieure même à son original, a fondé, comme on sait, l’immortalité d’Amyot, — et Montaigne, avec sa manie de citer, ne sera-t-il pas toujours un peu suspect de n’avoir connu l’homme qu’à travers Plutarque ou Sénèque ? Moins savans, moins pédans, leurs successeurs les ont cependant imités, et toute une partie de la réforme de Malherbe n’a guère consisté qu’à remplacer l’imitation des modèles grecs par celle des modèles purement latins. Oserai-je dire que, si c’est un reproche, Boileau lui-même, — si Gaulois, si Français, si Parisien à tant d’autres égards, — n’y saurait échapper entièrement ? Il y a un peu de superstition, au moins, dans l’enthousiasme qu’il croit éprouver pour Pindare. De parti-pris d’abord, et de propos délibéré, puis, sans presque en avoir conscience, par l’effet même de l’éducation, on était donc insensiblement retourné au paganisme, et de restriction en restriction, le classicisme s’y était enfermé. Les artistes, eux, s’étaient gardés de commettre la même erreur, les peintres notamment, Raphaël et Titien, Rubens dans les Flandres, Rembrandt en Hollande, Poussin même et Le Sueur en France. La Vie de saint Bruno, — que je n’admire pas plus qu’il ne faut, — et les Sept Sacrement, qui sont une des grandes choses de la peinture moderne, ne doivent rien qu’au génie de leurs auteurs, et aux sentimens qu’ils partageaient avec leurs contemporains.

Il était donc assez naturel qu’aux environs de 1690, après deux cent cinquante ans passés, on commençât à trouver ce régime un peu sévère, diététique, et surtout suranné. Ce qu’il avait encore d’importun, c’est que le génie seul pouvait s’en accommoder. Oui, pour rivaliser avec une éloquence dont les Catilinaires ou les Philippiques demeuraient les modèles, ce n’était pas assez d’être du Vair ou Patru, mais il fallait être Bossuet, ou au moins Bourdaloue ! Il fallait être Molière pour tirer du Phormion les Fourberies de Scapin ; et Racine seul, en les imitant, pouvait surpasser Euripide ou « balancer » Sophocle ! Perrault, en habile homme, se sentant