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II

Vous connaissez l’aventure de Cosi-Sancta, qui perdit son honneur pour sauver son mari. De même que d’un petit mal, si nous en croyons Voltaire, Bayle, et saint Augustin, on voit donc parfois sortir un grand bien ; ou, de même encore que l’on compose des remèdes avec des poisons, une juste cause peut-elle être, a-t-elle été quelquefois servie dans l’histoire par de mauvais moyens, j’entends fâcheux, répréhensibles, et condamnables en soi ? La question est assez délicate ; et, pour le moment, je ne sais pas encore si la cause du progrès était juste, était bonne, était sainte. Nous le saurons plus tard, quand nous en aurons vu le développement et les suites. Mais, dès le début, ce que je suis bien obligé de dire, c’est qu’en tout cas, dans les dernières années du XVIIe siècle, sa fortune a été prodigieusement favorisée par le libertinage des mœurs.

Certes, nos moralistes auraient tort aujourd’hui, s’ils voulaient soutenir que le libertinage de l’esprit a toujours le libertinage des mœurs pour source ou pour effet, et que l’abolition ou la diminution de la vie morale sont la rançon obligatoire, la revanche, ou le châtiment de la liberté de penser. Nous connaissons tous des athées honnêtes ; et j’en nommerais, au besoin, de vertueux. Mais, au XVIIe siècle, on avait raison, pleinement raison quand on reprochait aux esprits forts, comme on les appelait, de n’être forts, en vérité, que de leur faiblesse contre les tentations. Sous le beau nom de liberté de penser, trop de « jeunes veaux, » — c’est l’expression du fameux père Garasse, — ne revendiquaient que le droit de jouir largement de la vie. Même si quelques autres passaient un peu plus outre, comme cette Anne de Gonzague, dont Bossuet, en 1685, venait de prononcer l’oraison funèbre, et s’ils s’élevaient de « l’intempérance des sens » à « l’intempérance de l’esprit, » le désordre insolent de leur conduite rendait toujours le caractère de leur incrédulité singulièrement équivoque. D’une manière générale, en masse, pour ainsi parler, on retournait au XVIe siècle ; les mœurs des Valois reparaissaient dans le sang des Bourbons ; et la philosophie de la nature, — si c’est une philosophie que d’obéir à l’impulsion de nos instincts, — triomphait universellement de la philosophie de la contrainte morale.

On s’y trompe encore trop souvent de nos jours, et je ne sais par quelle illusion d’optique, à moins que ce ne soit par un reste de respect pour les dernières années d’un grand règne, — mais je ne le crois guère de mes contemporains, — on attend à s’apercevoir de la corruption que la mort ait lait passer le pouvoir des