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succès ; le mari composait ses parodies, ses jolis opéras-comiques : Bastien et Bastienne, la Fée Urgèle, les Moissonneuses, les Trois Sultanes, sa femme les jouait et les chantait. Le roi lui accorda 2,000 livres de pension, les comédiens lui faisaient 1,400 livres<ref> Voici l’arrêté par lequel Mme Favart est reçue à la Comédie italienne avec promesse de part entière :
« Nous, duc de Fleury, pair de France, premier gentilhomme de la chambre du roi,
« Avons reçu et recevons, suivant les ordres du roi, dans la troupe des comédiens italiens de Sa Majesté, la demoiselle Favart, pour jouer généralement tous les rôles qui conviendront à ladite troupe, lui avons accordé et accordons la première part qui viendra à vaquer ; de laquelle part mandons et ordonnons auxdits comédiens d’en faire jouir la demoiselle Favart, etc.
« Fait à Versailles, le 18 janvier 1752.
« Signé : LE DUC DE FLEURY. » </<ref>. La complaisance de Favart allait au point de composer gracieusement de petites pièces pour des inconnus qui ne manquaient pas de s’en attribuer la paternité et d’en recueillir les complimens dans les sociétés où on les représentait. Mme Favart était l’étoile de cette Comédie italienne où figuraient Carlin, Dehesse, Caillot, Clairval, Laruette, la Biancolelli, Rochard de Bouillac, ancien magistrat devenu comédien, MllesCoralie et Camille Véronèse, deux merveilles de l’air dont on aurait pu dire, comme de Mlle Camille, qu’elles dansaient jusqu’à la pensée. Elle conserva jusqu’en 1770 la faveur du public : on aimait en elle un goût très fin, une gaîté franche, naturelle, le jeu le plus piquant, l’art de se convertir en sang et en muscles, de faire siens tous les caractères, soubrettes, amoureuses, paysannes, d’imiter si parfaitement tous les dialectes qu’arrêtée un jour aux barrières de Paris où l’on voulait saisir des robes de perse qu’elle rapportait de Lorraine, elle parla si bien, moitié allemand, moitié français, que le commis, qui avait habité l’Allemagne, la prit pour une étrangère et se confondit en excuses. Elle n’eut point de modèles, affirme Favart, et elle en servit : une des premières, elle commença d’observer le costume : voir paraître sur la scène une paysanne avec de grands paniers, des gants montant jusqu’au coude, la tête et les épaules ornées de diamans lui semblait une manifeste absurdité, et, dans Bastien et Bastienne, elle se montra vêtue d’une simple robe de laine, croix d’or au col, cheveux plats et sans poudre, bras nus, chaussée de sabots. Ceux-ci ayant un peu choqué le parterre, Voisenon arrêta d’un mot les murmures : — « Messieurs, ces sabots-là donneront des souliers aux comédiens ; » — la pièce alla aux nues et fut jouée quatre à cinq mois de suite.

Grimm et Collé, si acerbes contre la Petite Fée, l’accusent d’avoir