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adversaires. J’ai vu beaucoup de ces ecclésiastiques ; je ne crois pas que l’allégation soit exacte. Sans doute, il peut y avoir dans le nombre quelques tempéramens emportés, quelques zélateurs qui useront et abuseront de leur pouvoir sur le troupeau docile qu’on veut leur soustraire. La plupart cherchent péniblement à résoudre le problème impossible que nos mœurs politiques leur posent. Nous instituons ces pasteurs, nous les payons pour façonner les âmes sur ce qu’ils estiment une règle absolue de vérité, pour enseigner des préceptes qui dominent toute la conduite de la vie ; et alors que les intérêts vitaux de la société sont en jeu, nous exigeons qu’ils se taisent ou qu’ils biaisent devant certains actes graves, justiciables comme tous les autres de ces préceptes… Je ne plaide pas : je me mets à la place de ces infortunés, en face du problème, j’allais dire de la chinoiserie. Des esprits plus subtils que celui d’un pauvre curé de campagne s’en tireraient malaisément. La grande majorité a la ferme intention de faire pour le mieux, suivant les sages instructions qui leur viennent d’en haut, dans la mesure du tact et de la prudence que chacun d’eux possède. Ce sont des hommes. Ils se voient en butte depuis douze ans à l’hostilité tantôt sourde, tantôt déclarée du pouvoir central ; ils essuient, je ne dirai pas la persécution, — il faut laisser ce mot disproportionné aux polémistes échauffés, — mais les tracasseries des agens subalternes. Quelques-uns ont été personnellement aigris par des suspensions de traitemens ou autres chicanes. Enfin, ils sentent dans leurs mains une force incalculable, au service de ce qu’ils considèrent comme le souverain bien ; tout être humain qui se sent une force est invinciblement sollicité à l’employer ; la refréner est un acte d’héroïsme presque surnaturel. Écrivains, mes frères, nous ne sommes rien moins que sûrs de notre mission, nous ne l’avons reçue de personne : si l’on nous enjoignait de ne pas dire ce que nous croyons être la vérité, comme nous enverrions promener le porteur de l’injonction !

La paix publique serait fort menacée, si les ouailles, qui n’ont pas les lumières de leurs pasteurs, partageaient tous leurs griefs. Sans doute, le troupeau gémit avec le pasteur sur les entraves qu’on apporte aux cérémonies extérieures du culte, sur le service militaire des séminaristes, sur les suspensions de traitemens et autres misères ; mais comme on gémit sur les maux d’autrui, qui ne nous atteindront jamais : d’un gémissement platonique. En revanche, troupeau et pasteur sont complètement d’accord sur un point, la résistance aux lois scolaires. Après enquête attentive et sauf erreur, je n’hésite pas à dire que c’est là, dans notre Ardèche, le seul obstacle sérieux à la pacification des esprits, le fossé infranchissable entre les catholiques et la république. À chaque pas, dans chaque