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Les deux jeunes gens se marieront cependant, mais à de sévères conditions. Vainement Mme Mauclerc en pleurs invoque pour son excuse et l’horreur de son premier mariage avec Savigny, un triste sire, et l’attrait, l’honneur même du second avec un homme digne de toute estime et de tout amour, rien ne désarme l’intraitable douairière. Elle exige que le mariage sépare, ou du moins éloigne Marthe d’une mère compromettante. La pauvre femme se soumet, se sacrifie, sans que de sa soumission et de son sacrifice sa petite Marthe elle-même la paie autrement que par un sourire, l’ingrat et cruel sourire du bonheur.

Mais la princesse de Sauves, plus indulgente que la vieille marquise, a pris sous sa protection Mme Mauclerc humiliée. Elle l’invite chez elle à une fête de charité. La pauvre mère y verra sa fille, fiancée de la veille. Mme Mauclerc, hélas ! y rencontre aussi la marquise, qui lui tourne le dos, une ou deux péronnelles qui l’évitent, M. de Savigny, qui la brave et la laisse insulter publiquement par sa maîtresse, Mme d’Albiac. Alors survient le commandant. Très haut, il demande qu’on lui présente M. d’Albiac pour obtenir de lui réparation. Pas d’autre d’Albiac que Savigny, mais, comme dit assez drôlement une petite baronne, possession vaut titre, et titre suffisant pour qu’il y ait duel, et duel à mort entre les deux maris de Mme Mauclerc. Devant un tel scandale, la marquise de Trêves retire son consentement au mariage de son fils. Qu’à cela ne tienne, le jeune homme s’en passera. Mais la jeune fille, plutôt que de s’en passer, renonce à son amour. Heureusement, et brusquement aussi, tout s’arrange ; un esprit de douceur se glisse dans les âmes et les attendrit. Touchée par tant de soumission, la marquise capitule ; Savigny, qui ne veut pas le malheur de sa fille, porte au commandant des excuses un peu inopinées et une fois de plus une assez bonne pièce fait une mauvaise fin.

Mauvaise, parce que ce dénoûment ne sauve la situation qu’en faussant les caractères ; il arrange les choses, mais, passez-moi l’expression, il dérange les âmes, les jetant tout à coup en pleine contradiction avec elles-mêmes. La pièce a d’ailleurs d’autres faiblesses : si le dénoûment tourne court, l’exposition traîne et le sujet s’en dégage malaisément. C’est là un défaut de forme et d’exécution, mais au fond encore il y aurait à reprendre ; M. Jannet qui, paraît-il, a de l’emploi dans une maison de banque, traite ses personnages un peu trop en partie double, et sur deux colonnes. Au crédit ou au débit, chacun est porté tout d’une pièce. Côté du divorce : Mme Mauclerc, une adorable femme, l’honneur et la bonté même ; le second mari : le modèle de toutes les vertus viriles. En face au contraire, qui voyons-nous ? Le premier mari, un très vilain homme ; sa maîtresse, qui n’est pas plus intéressante ; la marquise, âme