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encore un véritable roman que l’esprit compose à propos de l’impression qui lui arrive. Seulement, ici, le roman s’accorde généralement avec la réalité, il ne la reproduit pas, mais il la représente ; il est un symbole, un chiffre que l’esprit crée lui-même et qu’il emploie ensuite dans ses opérations.

C’est ce qui a permis à M. Taine d’appeler la perception, dans une définition devenue célèbre, une hallucination vraie, et cette définition est irréprochable si on ne veut pas en tirer autre chose que ce qu’elle dit. Mais entre une « hallucination vraie, » selon le mot de M. Taine, et une « hallucination véridique, » comme on a appelé les phénomènes télépathiques, quelle différence y a-t-il ? Je n’hésite pas à répondre : au point de vue de la psychologie générale et en considérant les grandes lignes du mécanisme psychologique qui les produit, il n’y en a aucune. Perceptions, illusions, hallucinations du rêve, hallucinations de la folie, hallucinations télépathiques, sont soumises aux mêmes grandes lois de la psychologie abstraite. Je pourrais montrer, par exemple, que le peu qu’on a pu savoir des conditions générales de la transmission mentale et de la télépathie en est une nouvelle preuve. C’est, à mon sens, une raison de plus pour admettre la vraisemblance de ces phénomènes.

La différence entre la perception télépathique et les autres faits analogues de la vie normale, et on ne saurait en dissimuler l’énormité, se trouve dans la manière dont l’excitation se transmet jusqu’aux zones de l’activité mentale. Pour les perceptions ordinaires, tous les mystères ne sont pas éclaircis ; mais enfin nous connaissons à peu près les portes d’entrée qui sont les organes des sens, et les agens extérieurs qui viennent frapper à ces portes. Pour les hallucinations télépathiques, nous ne savons rien. On a supposé, toute pensée étant accompagnée d’un mouvement cérébral, que ce mouvement se transmettait à l’éther répandu partout et, se répandant ainsi, pouvait, bien loin de son point de départ, se communiquer à d’autres cerveaux en reprenant sa forme primitive[1]. Cette hypothèse est bien la plus naturelle, mais elle ne repose que sur des analogies qui peuvent être trompeuses. Toutes celles qu’on peut actuellement proposer auraient le même inconvénient, ou d’autres plus graves encore.


V

Admettons que les faits qui nous arrivent aujourd’hui de toutes parts soient exacts et bien observés. Qu’en résultera-t-il ? Nous ne

  1. Voir J. Ochorowicz : la Suggestion mentale.