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par-delà la tombe la foi jurée et qu’après elle nulle joie d’amour ne lui fût plus ; de même, le sacrifice un moment consenti, elle le demandait, elle le voulait, elle morte, définitif, à toujours.

Une pâleur avait envahi Paul. Un froid frissonna le long de sa nuque. La conscience de l’égoïsme des féminines jalousies, poussé jusqu’à l’extrême sous de maladives influences, éveillait en lui un instinct de révolte. Jamais il n’avait conçu de joie pure et absolue, sinon par le travail ; et si l’entière communion de leur collaboration avait amplifié cette joie, elle demeurait justement, tout amoindrie qu’elle dût être, la seule aide dont il espérât, pour l’atténuation de sa souffrance, la mélancolique consolation des oublis momentanés.

Le sacrifice, cette fois, le sacrifice irrévocable, lui paraissait impossible, irréalisable, supérieur à ses forces. Et cependant, il était, au-dessus de ses forces, également, de résister au dernier désir, à la prière dernière de l’aimée. Peu à peu, le cerveau se taisait devant le cœur. Parmi le navrement du lit où elle agonisait, la vie extérieure se reculait très loin. Elle lui arrivait ainsi qu’un rêve, un flottement illusoire de visions lointaines. Elle, partie, que serait-ce pour lui, la vie ? Que lui importait, à cette heure ? Peut-être n’y avait-il de vrai, de toutes les choses et de leur double effort vers la gloire, que de s’être unis en une absolue communion d’âmes, de s’être aimés ! Un attendrissement le gagnait. Le sacrifice peu à peu se parait d’une douceur, s’enveloppait d’un héroïsme dont lui-même était grandi devant la mort. Il cessa de réfléchir. Il se sentit courbé vers Marie, irrésistiblement. Et, de ses lèvres, tomba la promesse que, si elle venait à le quitter, il n’écrirait plus jamais. Leur œuvre s’arrêterait avec elle, serait close avec sa vie.

Un moment, une lâcheté effleura Paul. Tout au fond de lui-même, une espérance s’était dérobée, l’espérance qu’il se fût trompé ou que peut-être Marie, par un héroïsme pareil, triomphât de cette étrange et cruelle jalousie. Mais le regard, déjà lointain, de la mourante parut revenir, se posa sur le sien, dans une reconnaissance pleine de tendresse ; avec l’égoïsme impitoyable de ceux qui s’en vont, d’une légère pression de ses doigts grêles, elle acceptait le renoncement ; et elle sourit, une quiétude épandue sur son visage.


III

Marie était morte. Paul, malgré la détresse immense en laquelle le laissait cette rupture cruelle de leurs êtres, demeura debout, comme un arbre sous la tempête, dans sa haute douleur