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l’expropriation publique, les surfaces nécessaires à l’épuration par le sol, et cette disposition isolée a trouvé place dans la loi relative aux terrains d’Achères, que nous allons tout à l’heure rencontrer. Il faut rendre hommage à l’esprit de progrès et aux sentimens qui respirent dans le projet du conseil d’État. Il est digne d’un accueil plus empressé de la part du parlement. Peut-être, s’il était voté, l’État ne serait-il plus là, contemplant d’un œil placide les villes étagées sur les cours d’eau s’envoyer l’une à l’autre, de l’amont à l’aval, leurs fanges et leurs épidémies. Qu’il soit cependant permis d’exprimer le regret qu’au lieu d’accorder aux communes la faculté d’éloigner de la ville et d’épurer ensuite leurs eaux d’égout, le conseil d’État ne leur en impose pas l’obligation.

L’Angleterre a cruellement souffert de l’insalubrité. L’histoire garde la mémoire des ravages qu’exerça le choléra de 1832. Il y a moins d’un quart de siècle, le taux de la mortalité dans ses principales villes était plus élevé que dans la plupart des autres villes de l’Europe. Les patientes et méthodiques recherches d’une intelligente statistique qu’éclairait le flambeau de la science lui ont à la fois révélé le mal, ses causes et les remèdes. Créé en 1871, sous l’influence de ces constatations, le local government Board, que l’on pourrait appeler en français la direction de l’assistance et de l’hygiène publiques, obtenait dès 1875, des votes du parlement, la loi qui, sous le nom de Public health act, assure à la santé publique dans les Iles Britanniques une protection efficace. Cette loi impose aux villes et aux districts l’obligation de fournir aux populations une suffisante quantité d’eau potable et d’éloigner, en les épurant, toutes les eaux souillées. En cas de refus ou de négligence constatée, elle a pour principale sanction, outre les peines afflictives qui peuvent atteindre dans leurs personnes et leurs biens les membres des municipalités récalcitrantes, l’exécution d’office, par les soins du local government Board, et aux frais des villes, de tous les travaux jugés nécessaires par cette administration. La ville de Lincoln tenta un moment, par crainte de la dépense qui en devait résulter, de résister à l’injonction qui lui était faite d’installer un système d’égouts. Traduits devant the court of queen’s Bench, ses magistrats virent bientôt qu’il y allait pour eux de la prison. Ils s’empressèrent de se soumettre. Lincoln est aujourd’hui pourvu d’égouts qui ont coûté 3 millions et demi. Le taux de la mortalité y est descendu de 22.7 à 15.4. Sa population était de 30,000 âmes ; elle est aujourd’hui de 50,000.

Et nunc erudimini, gentes, dirons-nous avec celui qui rapporte ces faits saîsissans[1].

  1. D’ordinaire, je ne crois pas utile d’indiquer, au bas de chaque page, les documens où je cherche à m’instruire des sujets que la Revue veut bien me permettre d’exposer à ses lecteurs. Je demande cependant à faire ici une exception et à signaler la petite brochure où j’ai puisé ces faits. Elle est intitulée : les Mesures sanitaires en Angleterre depuis 1875 et leurs résultats, par M. Henri Monod, directeur de l’Assistance et de l’hygiène publiques. Ces quelques pages instructives fournissent une démonstration péremptoire des bienfaits de l’assainissement et de la nécessité pour nous de ne pas différer à la rendre obligatoire. L’éminent administrateur, qui les a écrites avec une conviction si élevée et un sentiment patriotique si pur, a rendu un véritable service à notre pays.