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sociétés nouvelles ; et c’est après que les peuples ont contracté ce tempérament nouveau que la porte a été rouverte plus tard à l’ancien culte, qui, par la désuétude, avait cessé de se faire craindre. C’est ainsi et non autrement que l’Angleterre, les États Scandinaves, la Hollande, la Suisse, les États-Unis, ont pu contracter une âme nouvelle[1]. » — Religion nouvelle imposée par la force, deux cents ans dans cet état, puis proclamation de la liberté des cultes : voilà le secret que les révolutionnaires de 1789 n’ont point vu ou n’ont point osé voir. — Chose curieuse, ce que les révolutionnaires n’osaient pas faire en religion, ils le faisaient en politique. « Abolir la liberté sous le prétexte qu’on l’établira plus tard, » c’est ce qu’Edgar Quinet recommande en religion, c’est ce que les révolutionnaires ne font qu’en politique : « Abolir la liberté sous prétexte qu’on l’établira plus tard, c’est le lieu-commun de toute l’histoire de France ; ce fut aussi celui de la révolution. Mais les temps ont prouvé que c’était ajourner la révolution elle-même. Il nous appartient de le dire, cette voie était mauvaise ; elle a préparé la servitude. » Les révolutionnaires se sont donc trompés dans l’application, pour ainsi parler, de leur régime. Ils ont appliqué à la révolution politique la force, la compression, la tyrannie, toutes choses qui ne sont nécessaires et excellentes qu’appliquées à la révolution religieuse. C’est l’erreur capitale de la révolution française. Encore un coup, que n’a-t-elle eu les yeux fixés sur la réforme ! « Partout où elle a éclaté au XVIe siècle, ses premiers actes ont été le brisement des images, le sac des églises, l’aliénation des biens ecclésiastiques, l’injonction d’obéir dans l’intime conscience au nouveau pouvoir spirituel, le bannissement non-seulement des prêtres, mais de tous les croyans qui gardaient l’Eglise au fond de leur cœur. Voilà ce qu’a fait la réforme et comment elle a pu s’établir et s’enraciner dans le monde[2]. » Il n’y pas d’illusion plus forte que de croire que « la force ne peut rien contre les idées. » « Les révolutionnaires, en choses de religion, ont trop compté sur l’esprit public ; c’est là qu’ils ont été libéraux. Ils se sont imaginé qu’une ancienne religion disparaît de la terre, par l’indifférence, la désuétude, ou par la discussion. Il n’est pas jusqu’à ce jour un seul culte, si faux, si absurde que vous puissiez vous le figurer, qui ait disparu de cette manière. Tous ceux qui ont cessé d’être sont tombés non par l’indifférence, mais parce que l’ordre formel leur a été donné de mourir… Si le christianisme se fût contenté de discuter avec le paganisme… les temples d’Isis et de Diane seraient encore debout en Égypte et en Grèce[3]. » — En

  1. Révolution, V, 4.
  2. Ibid., I, 5-9.
  3. Ibid., XVI, 11.