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à jeter au public, juste à point et au bon moment, ce qu’il dirait lui-même, la banalité du temps, le mot courant de la semaine, er, comme disait Mme de Sévigné, « l’Évangile du jour. » L’Évangile du jour était par exemple, en 1840, l’éloge de Napoléon Ier, l’élégie de la Pologne, ou l’invective contre Rufin, je veux dire contre Loyola. — La phrase à effet, c’est ce quelque chose que cherchait Figaro, ce quelque chose de brillant, d’étincelant, qui a l’air d’une pensée, rapprochement ingénieux sans la moindre solidité, généralisation au hasard dont l’air spécieux séduit pour une minute, et cela suffit dans l’espèce, mais qui étonnera par ce qu’elle a de vide sitôt qu’on sera rentré chez soi. — Ces jeux sont dangereux par l’habitude qu’ils donnent au penseur de se contenter de semblans d’idées, de s’y complaire et d’y rester, surtout quand le penseur était déjà un homme qui n’avait rien de rigoureux dans l’esprit et qui s’était préparé à l’enseignement public par l’élaboration d’Ahasvérus. Edgar Quinet, en toute conscience, et tout en travaillant très sérieusement, ne sut pas se garantir de ces tentations où il n’avait d’avance que trop de pente. Déjà, avant ses cours de 1841 et années suivantes, il avait de ces légèretés graves et de ces étourderies solennelles. Sait-on d’où est né le drame ? De la lutte entre une religion qui décline et une philosophie qui s’élève. L’âme alors, « réveillée en sursaut au milieu de la foi… partagée entre deux impulsions contraires, s’interroge, s’étudie, se divise, pour se donner à elle-même en spectacle et en pâture. L’homme, en ce moment, est véritablement double ; .. l’hymne se brise et des querelles intestines du cœur naissent les dialogues sanglans de la scène. » Voilà de ces choses qui sont irréfutables tant elles sont insaisissables. Est-ce vrai, est-ce faux, est-ce spécieux ? Aucun mot précis ne s’y peut appliquer. Ce n’est rien du tout, et cela a l’air d’être quelque chose. C’est une beauté de cours public. Il a tort de vouloir y ajouter des preuves : « Les peuples qui ont une philosophie sont les seuls qui aient un drame, et l’une et l’autre ont toujours éclaté en même temps… Socrate et Sophocle, Shakspeare et Bacon, Corneille et Descartes, Schiller et Kant. » Je veux bien ; tant la multiplicité des objections possibles me lasse d’avance, et tant la fragilité, l’arbitraire, l’enfantillage des rapprochemens me désarme. Je veux bien ; mais à quoi bon ? À quoi servent ces généralisations oratoires si faciles que rien n’appuie et qui n’éclairent rien, et qui n’apprennent rien, et semblent un jeu de l’esprit pour le divertissement des oreilles ? Elles ne servent qu’à fausser l’entendement de celui qui a le tort de se les permettre et d’en prendre l’accoutumance. Les livres comme le William Shakspeare, de Victor Hugo, sont le dernier terme de cette déplorable méthode. Quinet qui, du reste, n’a jamais écrit un livre comme