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bien entendu, les savans eux-mêmes le reconnaissent, tous les livres de sciences qui décrivent et cherchent à expliquer la formation de notre petit univers, et en 1869 un Quinet bien inattendu se révéla, un Quinet, non plus disciple de Herder, de Ballanche et de Vico, non plus tenant et compagnon d’armes de Michelet, mais élève de Lamarck, d’Herbert Spencer, de Darwin, de Lyell et de Lortet. C’était un renouvellement prodigieux pour un homme qui avait passé la soixantaine, qui n’avait jamais eu d’éducation scientifique, n’ayant étudié dans sa jeunesse que les seules mathématiques, et qui avait été dominé pendant tout son âge mûr par une sorte de mysticisme sociologique ne soutenant avec l’esprit scientifique que des rapports assez lointains. Rien ne fait plus grand honneur à Quinet. L’ardeur de généraliser a des dangers ; elle a quelquefois de très bons effets. C’est elle qui a conduit Quinet à l’histoire naturelle. La loi suprême de l’humanité, la loi des lois, la loi qui explique toutes les sociétés et leurs causes et leurs progrès et leurs ruines, c’est toujours ce que Quinet avait cherché. Il l’avait cru trouver dans l’action de Dieu sur le monde, ou, au moins, dans l’action sur le monde de l’idée que le monde se fait de Dieu. Dans la solitude pensive de son exil, il s’était peu à peu tourné vers la science, et c’est à la science que l’idée lui était venue de demander le même secret. Il n’étudie la géologie que dans l’espoir d’apprendre la loi de la marche de l’humanité. Il demande à l’histoire naturelle des leçons de politique. Qui le pousse à croire qu’il les y trouvera ? Pourquoi la géologie considérée comme initiation aux sciences sociales ? Et pourquoi, pour savoir la loi de l’histoire, s’adresser à l’histoire naturelle ? Pourquoi ? Mais parce que Quinet, le généralisateur, est toujours le même, quoique ayant changé de voie, et que, s’il a changé de voie, il n’a changé ni d’objet ni de méthode. Il cherche la loi suprême, voilà son objet ; il part de l’idée qu’il y a unité dans les choses, voilà le principe de sa méthode. Il y a unité dans les choses ; elles se ramènent à un ; voilà pour lui ce qui est incontestable et d’où l’on doit partir. Autrefois, il ramenait toutes choses à une seule cause, l’action du divin sur le monde ; maintenant il se dit : nous savons de la géologie, la géologie est plus vaste que l’histoire, voyons ses lois, et comme il y a unité dans les choses, soyons sûrs que les lois de la géologie seront celles de l’histoire, que celle-là expliquera celle-ci, et que le secret sera trouvé. Tel est le dessein de la Création ; appliquer la méthode des sciences naturelles aux sciences politiques et expliquer les lois politiques par les lois de la nature. Mais il faut pour cela être bien sûr qu’il y a, en effet, unité dans les choses. Précisément : qu’il y ait unité dans les choses, c’est ce dont Quinet ne doute pas, ne peut pas douter.