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que la mortalité était moindre à soixante-quatre, à soixante-cinq, à soixante-six ans qu’à soixante-trois. Il est surprenant que la crédulité populaire se soit attachée opiniâtrement à des légendes que l’expérience individuelle contredisait sans cesse. Il suffirait à chacun de nous de coordonner ses propres souvenirs ou de parcourir les allées d’un cimetière pour voir s’ébaucher au moins, dans son esprit, la loi qui fait d’abord décroître lentement, puis progresser peu à peu avec l’âge le taux de la mortalité humaine. La courbe n’est pas tout à fait la même dans tous les temps et dans tous les pays ; mais partout elle commence par une brusque descente, suivie d’une lente et longue montée. Pour la France entière, les calculs de la statistique générale, relatifs à la période de 1877-1881, montrent que deux nouveau-nés sur dix, plus exactement dix-neuf sur cent, succombent dès la première année ; et ce sont surtout les premiers mois, les premières semaines, les premiers jours qui voient s’accomplir cette œuvre de destruction. Presque toutes les espèces vivantes paient au trépas ce tribut initial. Il semble que l’enfant pour naître, plus encore que la mère pour le mettre au monde, ait un véritable combat à livrer, et sans parler des morts nés, qui deviennent si nombreux, beaucoup de petits êtres, condamnés avant même d’avoir vécu, ne font que passer du berceau qui les attendait au cercueil qui va les recevoir. Toutefois, le quantum de ce déchet n’est pas immuable. La proportion des pertes de la première année, qui en Bavière monte à 30 pour 100 nouveau-nés, descend à 11 ou 12 dans la froide Norvège. Avec plus de moralité et d’hygiène, on réduirait partout ce qu’on a pu appeler le massacre des innocens.

La seconde année est plus clémente que la première : sur cent enfans d’un an, il n’en périt d’ordinaire, avant deux ans, que trois ou quatre[1]. De deux à trois ans la « dîme mortuaire, » comme disent les démographes, est déjà inférieure à 2 pour 100, et elle va en diminuant de plus en plus jusqu’au seuil de l’adolescence : entre dix et quinze ans, chaque année réduit à peine de quatre ou cinq millièmes le contingent qui la traverse ; et la quatorzième année, en particulier, toute climatérique qu’elle soit, tue moins de monde que n’importe quelle autre.

Mais, c’est à partir de cet âge que la mortalité, après avoir été en déclinant, commence à remonter, avec quelques rigueurs alternatives pour l’un et l’autre sexe. Elle remonte assez vite pendant un lustre ou deux : 4 décès par an sur mille vivans de dix à

  1. En Italie, la proportion des décès de la seconde année dépasse 10 pour 100 ; mais le mépris de l’hygiène se complique là, comme on le sait, de l’insalubrité d’un grand nombre de localités.