Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 114.djvu/321

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’archéologie locale[1]. Or, de tous ces documens combinés, il semble difficile d’extraire une vie moyenne qui ne soit pas inférieure d’une dizaine d’années à la vie moyenne d’aujourd’hui.

Et voici qui, dans le même sens, n’est pas moins significatif : au temps des Césars, le règlement des pensions viagères, dont Ulpien nous fait connaître le tarif, supposait un nombre d’échéances bien moindre que celui qu’il faudrait prévoir de nos jours. Aux personnes de quarante ans, par exemple, la jurisprudence romaine ne promettait que vingt années d’existence. Leur exportation of life, pour parler comme les Anglais, monte d’après Duvillard (XVIIIe siècle) à 23 ans, d’après Demonferrand (1817-1832) à 27 ans, d’après les récens calculs de la statistique générale de France (1877-1881) à 28 ans. Au même âge, la survie moyenne est de 27 ans pour les Anglais, de 24 ans pour les Prussiens, de 29 ans pour les Norvégiens, etc.

On nous objectera peut-être que quarante ans, c’est déjà un âge un peu avancé pour en faire la base de nos observations. Soit : au lieu d’interroger l’été ou l’automne, interrogeons le printemps. À vingt ans, les contemporains d’Ulpien n’avaient, en moyenne, que 30 ans devant eux. Buffon et Moheau en trouvaient déjà 3 ou 4 en plus ; Duvillard 5 ou 6 ; la statistique générale de France arrive à 40 années de survie moyenne à vingt ans. Et les tables étrangères offrent des indications analogues. On peut donc tenir pour certain que les adultes vivent plus longtemps de nos jours que sous l’ancien régime et surtout que dans l’antiquité.

La vie moyenne des nouveau-nés s’est également accrue ; mais c’est un terme de comparaison auquel il ne faut recourir qu’avec circonspection dans un pays dont la fécondité tend à décroître. Pour montrer les pièges où l’on risquerait de se laisser prendre en raisonnant ainsi, faisons remarquer que, si la France, l’an prochain, cessait absolument de procréer, il n’y aurait plus de mortalité infantile et que, par conséquent, l’âge moyen des décédés se relèverait brusquement, sans qu’en fait la longévité individuelle eût le moins du monde varié.


V

L’allongement de la vie moyenne suffit pour augmenter d’autant.la population des États où la natalité conserve son niveau. Émigration et immigration mises à part, il est clair qu’un pays qui enregistrerait chaque année un million de naissances aurait trente

  1. Recherches sur l’évaluation de la population des Gaules et de Lugdunum et sur la durée de la vie chez les habitans de cette ville du Ier au IVe siècle, 1892.