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de celles qui veulent travailler, l’instruction d’abord et ensuite l’indépendance professionnelle sous ses formes les plus honorables, notre civilisation pouvait se flatter d’avoir réduit d’autant l’engeance malfaisante des déclassées et des dépravées ! Vain espoir : nous ne voulons parler ici de la prostitution que pour mémoire ; mais on sait avec quelle audace elle s’étale sur nos voies publiques, où tout semble réuni pour la servir, journaux licencieux, affiches libertines, images obscènes. Quand on voit cela, on comprend que c’est surtout la famille qui a dû perdre, chez nous, le terrain conquis par l’armée du vice ; et ce n’est pas peu dire !


VI

Si la France était seule au monde ; si seulement la France était une île, comme l’Angleterre ; si elle n’avait pas de voisins et si on pouvait croire qu’elle n’a pas d’ennemis, nous prendrions plus aisément notre parti de la situation. Nous pourrions surtout nous y résigner si nous voyions le progrès des autres populations s’interrompre aussi. On a dit et nous le répétons volontiers : « Plutôt deux millions de Suisses prospères que cinq millions d’Irlandais misérables ! » Le nombre n’est pas un bien par lui-même. Mais, la lutte pour la vie s’imposant aux nations comme aux individus, notre patriotisme peut-il ne pas s’alarmer de la disproportion croissante qui s’accuse entre la population française et les populations adjacentes ?

Le chapitre que M. Levasseur a consacré à l’équilibre politique et militaire des États européens est un des plus attachans, mais aussi un des plus attristans de l’ouvrage. En s’en tenant aux grandes puissances, la France, l’Angleterre, l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, la Russie et, depuis son unification, l’Italie, l’auteur fait voir que l’élément français constituait 38 pour 100 du total sous Louis XIV, 25 pour 100 à la veille de la révolution, 21 pour 100 au lendemain de Waterloo, 15 pour 100 seulement après Sedan. En 1891, la quote-part n’est plus que de 12 pour 100.

Voilà des comparaisons mortifiantes pour l’amour-propre national. Tout exactes qu’elles soient, numériquement, l’impression qui s’en