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sont des stérilités intéressées, peut-on être sûr que l’on n’obtiendrait rien en faisant parler l’intérêt ? La justice même est journellement blessée par un système contributif qui, prenant comme mesure de la richesse imposable, non les ressources libres, mais les dépenses et souvent même les dépenses de première nécessité, loyers, consommations alimentaires, etc., réserve ainsi toutes ses rigueurs aux parens courageux et toutes ses complaisances aux autres. Les législations étrangères tiennent déjà mieux compte, à cet égard, des sollicitations de l’équité, et c’est une voie où il est étrange que la France se laisse distancer par l’Allemagne. Il nous semble téméraire de nier l’efficacité possible des lois fiscales en matière de population. La statistique financière nous apprend avec quel empressement, avec quelle sensibilité la consommation et la production de certaines denrées se laissent impressionner par une surtaxe ou par un dégrèvement. La production humaine ne sera jamais si facile à influencer ; cependant, là aussi, il y a des réactions dont on peut tirer parti. On dit : Quid leges sine moribus ? et on a raison : changer les sentimens d’un peuple, régénérer ses mœurs rien qu’en révisant son code, on n’y doit pas songer. Mais, en somme, il ne faut pas longtemps pour doter d’un nourrisson de plus un jeune ménage, et ce serait déjà quelque chose que d’habituer les Gascons, les Normands, même les Parisiens à ne pas envisager l’arrivée d’un cadet ou d’une cadette comme une mésaventure sans compensation aucune.

Les petits moyens législatifs sont d’autant moins à dédaigner ici qu’en réalité, quelle que soit l’intensité du mal, il n’y aurait pas énormément à faire pour relever d’une manière très sensible le mouvement de la population française. Pour nous ramener, par exemple, au taux de progression d’il y a vingt-cinq ans, il suffirait que, par commune, il naquît annuellement deux enfans de plus et qu’il mourût annuellement deux enfans de moins. Est-ce là chose impossible ? Il existe sans doute de très petits villages pour lesquels l’effort serait considérable ; mais à Paris, à Lyon, à Marseille, dans toutes les grandes villes, c’est par milliers, et ailleurs c’est par centaines que devraient se compter, si l’on reprenait un peu courage, les naissances supplémentaires et les décès évités. Toutes compensations faites, on reconnaîtra que nos prétentions sont modestes : deux baptêmes de plus, deux enterremens de moins par clocher. Si c’est trop présumer de la sagesse et de la puissance législatives que de les croire capables d’obtenir cela, il faudra bien se résigner au statu quo. Il se peut que tout échoue ; mais tant que l’on n’a rien fait, n’y a-t-il pas au moins présomption à décréter que rien ne réussira ?


ALFRED DE FOVILLE.