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méridionale. La transplantation paraît avoir accentué leurs qualités et leurs défauts d’origine. Le milieu les aura pénétrés, et aux longues et terribles guerres avec les Araucans, sauvages si différens des pacifiques sujets des Incas auxquels Pizarre eut affaire de l’autre côté du Maule, comme à la présence latente d’un peu de sang de ces indigènes chez ceux mêmes dont le teint et les traits ne diffèrent en rien du visage européen, ils doivent peut-être leur énergie, leur bravoure, leur patriotisme et aussi de dangereux instincts de cruauté. Ils pourront aller de l’avant vers le Nord sans éprouver de résistance dont ne vienne à bout leur opiniâtreté, et on serait en droit de prédire leur prééminence dans le demi-continent si, à l’Est, ne s’élaborait une race qui n’a pas encore acquis sa physionomie définitive, parce que l’émigration la modifie incessamment. — Les Argentins, eux, sont devrais Européens. Dans une certaine mesure, des Français, car nos compatriotes y sont établis en nombre considérable ; si bien que Buenos-Ayres est la ville du monde, en dehors de notre territoire, où l’on rencontre le plus de Français. Cette riche capitale d’un pays dont le nom est presque une devise, puisqu’il n’est qu’une féminisation de l’objet essentiel dans notre société contemporaine, l’argent, délaissant jusqu’à présent l’étude artistique et scientifique, pratique décorative, mais qui fournit au plus le nécessaire, s’est vouée à la culture rémunératrice à laquelle notre civilisation moderne a donné un si prodigieux développement : le commerce. Nouvelle Carthage, elle prospère et s’étend sur un rivage que le périple d’Hannon n’avait pourtant pas effleuré. Pendant ce temps, les Romains, de l’autre côté des Andes, s’aguerrissent et même s’instruisent, car leur pays est le seul de l’Amérique latine où existent des institutions dignes d’être appelées un centre intellectuel. La question de prépondérance se tranchera un jour entre ces deux nations.


Talcahuano (du composant araucan talca, eau, qui reparaît dans plusieurs noms géographiques chiliens), où nous arrivons le lendemain matin, est un petit port sans intérêt, une station de chemin de fer qui, en vingt minutes, mène à Concepcion.

Comparés aux nôtres, les chemins de fer chiliens ont de particulier la grande dimension de leurs wagons et la présence, sur la locomotive, d’une cloche qui sonne sans relâche dans la traversée des rues, où le train pénètre avec la liberté d’une voiture particulière. Ce tocsin, qui avance rapidement et qu’enlève aussitôt le vent créé par la marche du convoi, sans lui laisser le temps de se répercuter sur les corps environnans, produit un effet étrange. C’est la manière d’avertir les gens de se garer. Car on fait