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l’Amérique du Nord, l’Indien n’est plus qu’une quantité négligeable, la race nègre ne forme qu’un dixième de la population, la race blanche est de beaucoup la plus nombreuse, la plus riche, la seule influente. Dans l’Amérique du Sud, elle est bien aussi la race conquérante et gouvernante, mais elle est souvent inférieure en nombre, elle constitue une oligarchie et s’accommode mal, non de la forme républicaine à laquelle elle demeure attachée, mais des ressorts compliqués de la constitution démocratique des États Unis, qu’elle s’est trop pressée d’adopter en l’exagérant encore, tantôt dans le sens antimonarchique comme au Venezuela, en fixant à deux années la durée des pouvoirs présidentiels, tantôt dans le sens oligarchique, en limitant son choix à l’un des membres du conseil fédéral, et en concédant tacitement, comme au Chili, le droit, au président, de désigner son successeur et de préparer son avènement.

De ce désaccord entre les lois organiques, essentiellement démocratiques, et un état social foncièrement oligarchique qui fait de la magistrature suprême l’apanage d’un petit nombre de familles possédant, avec la fortune, l’influence que donnent les services passés, une position reconnue, des sièges au congrès, de grandes propriétés territoriales, devaient résulter et résultèrent les pronunciamientos, l’armée sollicitée par les aspirans au pouvoir, soudoyée par ceux qui la détenaient, ses chefs reconnus comme arbitres des partis. C’est l’histoire de la plupart des républiques hispano-américaines depuis plus d’un demi-siècle ; c’est celle du Venezuela, et dans la liste déjà longue des hommes d’État qui s’y sont succédé, on voit reparaître, à intervalles irréguliers, les mêmes hommes ou les représentans des mêmes familles, les Paez, les Vargas, les Falcon, les Guzman, dont les pères ont joué un rôle dans les guerres de l’indépendance, de même que leurs ancêtres dans celles de la conquête.

Brusquement engagé par le président Palacio, le conflit prit, dès le début, par le lait de l’incarcération des juges de la cour suprême, suivie de l’arrestation des membres du congrès notoirement hostiles, un caractère aigu qui excluait tout espoir d’accommodement pacifique. L’insurrection éclata ; le parti légaliste, comme il s’intitulait, appela, pour en prendre la direction, le général Joaquin Crespo.

Il résidait alors dans ses terres de l’Etat de Zamora, converties par lui en riches plantations de café. Agé de quarante-cinq ans, dix fois millionnaire, Crespo, soldat heureux, politique habile, ex-président de la République, tenait au Venezuela une grande place et passait pour l’un des plus fervens adeptes des institutions