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La mesure à cinq temps avait toutefois, elle aussi, dans l’antiquité l’ἔθος (ethos) ; héroïque ; elle a été délaissée aujourd’hui, bien qu’elle fasse quelquefois encore preuve de bravoure : témoin la coda de l’air de la Dame blanche : Viens, gentille dame, et surtout le chant national du pays basque : Guernica arbol !

Les chants nationaux ! Là est la source de la musique héroïque[1]. Nous le disions plus haut, la musique de guerre remonte aussi haut que la guerre elle-même. Josèphe rapporte que Salomon fit établir 200,000 trompettes, ainsi que Moïse l’avait ordonné, et 40,000 instrumens divers, tels que harpes, psaltérions et autres. En Grèce, Tyrtée fut nommé général des troupes lacédémoniennes parce qu’il jouait bien de la flûte.

Chez les Barbares : Gaulois, Francs, Germains, la musique de guerre commença par être seulement un cri sauvage. Cette clameur, que Tacite appelait barritus, devint peu à peu un chant, le bardit, interprété par les bardes ou scaldes. « Nous sourirons quand il faudra mourir », chante le barde des Martyrs, et les guerriers de l’Armorique allaient au combat en célébrant le vin, le soleil, la danse, la bataille et le glaive bleu qui aime le meurtre.

Tout notre moyen âge abonde en chants de guerre. L’un des plus célèbres n’est autre que la Chanson de Roland, qui fut, selon l’expression de Kastner, la Marseillaise de la chevalerie.

A l’idée de courage se mêlèrent peu à peu des pensées de prière et d’amour. Kyrie eleison, chantait la foule derrière saint Bernard, qui prêchait la croisade ; à genoux sur la plage d’Aigues-Mortes, l’armée de saint Louis entonna le Veni creator, et peut-être plus d’un soldat de vingt ans murmurait-il, en s’embarquant, le refrain du trouvère :


Chascun pleure sa terre et son païs,
Quand il se part de ses coraux amis ;
Mès nul partir, sachiez quoi qu’on vous die,
N’est dolereux, que d’ami et d’amie.


Notons ce passager accent de mélancolie. Il va disparaître pour longtemps et ne se retrouvera plus que de nos jours, dans la chanson de la reine Hortense : Partant pour la Syrie, ou dans une page adorable de Boïeldieu (les Deux nuits) : les stances des ménestrels.

Quand vient la renaissance, reîtres et aventuriers célèbrent à l’envi les victoires de Louis XII et de François Ier par des chants

  1. Voir à ce sujet deux ouvrages auxquels nous avons beaucoup emprunté : l’Histoire de la musique militaire, par E. Neukomm, et l’Essai historique sur les chants militaires des Français, par Kastner.