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de la justice avilie, de la liberté d’industrie opprimée, du travail sacrifié ou subordonné aux plus tyranniques passions de secte.

La question serait de savoir ce que le gouvernement a voulu, ce qu’il s’est proposé ou ce qu’il a fait depuis le commencement jusqu’à la fin. Il est malheureusement évident que dès le premier jour le gouvernement n’a trop su que faire, qu’il s’est réduit de lui-même à ce rôle assez médiocre d’une expectative patiente et tolérante, évitant avant tout de se compromettre. Il a craint, par une action trop vive pour la paix publique, de paraître l’allié de la Compagnie, de la « réaction,  » du « capitalisme,  » — ce sont les mots des manifestes aujourd’hui. Il a gémi, d’un autre côté, des violences des grévistes, sans les réprimer ni trop les décourager. Il a parlé de l’ordre public, de la liberté du travail dont il est censé être le gardien, sans les protéger réellement, sans garantir même la sécurité des ouvriers qui auraient voulu travailler. La vérité est la vérité. Le gouvernement a laissé les lois dormir, la grève prendre la police du pays par ses patrouilles, les municipalités socialistes se moquer de ses arrêtés et de ses mesures, les chefs de faction s’emparer du mouvement et s’enhardir jusqu’à la sédition, — une sédition prétendue pacifique ! Il a laissé tout s’aggraver et lorsqu’au dernier moment il a voulu intervenir en médiateur par cet arbitrage qui a eu une si étrange fortune, on lui a répondu par la glorification des condamnés, par la « carmagnole » et par la « révolution sociale. » C’est ce qu’on appelle la paix de Carmaux !

On ne peut plus cependant s’y méprendre et reculer devant la réalité. Il y a deux choses dans cette malheureuse affaire de Carmaux, avec laquelle on n’en a peut-être pas fini. Il y a eu d’abord une agitation partielle, locale, qui aurait pu sans doute être réprimée et qui ne l’a pas été. Il y a de plus désormais comme un abrégé des fureurs de secte, des passions de guerre sociale, des révoltes contre la loi, des excès des syndicats transformés en pouvoirs révolutionnaires, des fausses exaltations, des convoitises meurtrières, des propagandes d’anarchie qui s’essaient partout aujourd’hui, qui deviennent une menace pour la société tout entière, pour la civilisation française elle-même. Or, ici justement s’élève la question la plus grave, la plus décisive. Est-ce qu’on croit sérieusement qu’on peut, pendant des mois, pendant des années, laisser se répandre impunément toutes les excitations ? — Quoi donc ? Depuis quelque temps surtout, et non plus seulement à Carmaux, dans les journaux, dans les réunions publiques, jusque dans les bourses du travail qui sont une propriété municipale affectée à Un usage professionnel, on ne cesse d’irriter les haines des classes, de prêcher la révolution sociale et la guerre contre le bourgeois, contre le capital, contre tout ce qui possède. On ne cesse de répéter à des ouvriers que les mines sont à eux, que les grandes industries sont à eux, que leurs chefs ne sont que des parasites bons à