toute l’Europe. Aussi, parmi tant d’hommes qui ont brillé dans ces études, il n’en est pas qui jouisse d’une gloire plus pure, parce que nul ne s’y est dévoué aussi complètement, et n’y a porté, avec des vues plus élevées, autant de clarté, de précision et d’abnégation.
En tête du volume de ses lettres, les éditeurs de la correspondance d’Eugène Burnouf ont reproduit en une belle héliogravure, pleine de lumière, le médaillon sur lequel David d’Angers a fixé ses traits. Sa tête, fine et puissante, sort d’un grand col qui l’enserre. Son front large, sur lequel il ramène les belles boucles de ses cheveux, ses yeux vifs, tendus vers un objet invisible, son nez, le plissement de ses lèvres, respirent l’esprit, la bonté, la finesse, l’intensité de la pensée. On sent un grand souffle qui anime cette figure. En lui envoyant son œuvre, David d’Angers écrivait à Burnouf, avec une franchise de grand artiste : « Ce n’est pas seulement à l’homme de génie que j’offre ce médaillon, que j’ai eu tant de plaisir à faire, c’est aussi à l’homme dont j’estime profondément le caractère. » Ce jugement était celui du public, qui l’avait compris d’instinct, sans pouvoir suivre ses travaux,
À ce moment, en effet, malgré les luttes qu’avait à soutenir
Eugène Burnouf, et celles qui attendaient encore ses successeurs,
la partie était gagnée. Le sanscrit et les langues iraniennes avaient
conquis leur place dans la grande famille des langues européennes,
et allaient transformer l’étude de la philologie, de même que les
monumens littéraires de l’Inde et de la Perse allaient prendre
place à côté de ceux de la Grèce et de Rome. C’était toute une
nouvelle manière de concevoir l’antiquité qui se faisait jour : la
méthode comparative, appliquée non-seulement à l’étude des langues, mais à l’histoire des idées et des écrits qui nous les ont
transmises. Si ces études avaient peu d’adeptes, il allait ne plus
être permis, sous peine d’ignorance, d’en contester la solidité et
l’importance pour l’histoire de l’esprit humain. Bientôt elles allaient
prendre place dans l’enseignement public ; n’avaient-elles pas
déjà une porte ouverte au Collège de France, dont Eugène Burnouf représentait si bien l’esprit ? Et tandis que, grâce à ses efforts,
la France marchait en tête de ce mouvement, au moment où l’on
venait lui annoncer que l’Académie des inscriptions et belles-lettres l’avait choisi pour secrétaire perpétuel, il était en train de
s’éteindre sur un lit de douleur, dans les dernières secousses d’un
système nerveux usé par le travail.