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que les protectionnistes ont dû faire des concessions. Les graines oléagineuses ont obtenu l’entrée gratuite, et, s’il est assez extraordinaire en soi, toute raison de fisc à part, de voir frapper le coton pour faire plaisir au fin et au chanvre, le maïs pour garantir l’avoine, le pétrole pour protéger le colza et son huile, il est consolant de constater que le tarif, même maximum, contient encore un assez grand nombre d’articles exempts. Il est heureux, pour prendre un exemple spécial, que le parlement se soit décidé à laisser entrer, francs de droits, les livres (imprimés en langue française et en langues étrangères ou mortes), les cartes géographiques, les publications périodiques, la musique. Si on ne l’avait fait, la France était exposée à de redoutables représailles sur ses exportations de librairie (livres, partitions, gravures) qui dépassent de beaucoup les importations similaires de l’étranger.

Il n’en reste pas moins un monument protectionniste du style le plus pur, une solide barrière élevée autour de l’industrie et de l’agriculture françaises, surtout un chef-d’œuvre de précaution pour empêcher le pays de retomber dans le péché des traités commerciaux. Ce chef-d’œuvre, c’est le tarif minimum, qui est au tarif maximum ce qu’un tarif conventionnel était jusqu’ici à un tarif général. Seulement le tarif conventionnel résultait de traités conclus avec les pays étrangers et liant pour une durée déterminée les parties qui les avaient conclus, tandis que le tarif minimum a été établi sans considération de ce qui pourrait être obtenu d’autrui dans tels ou tels cas particuliers. Il est minimum en soi, parce que la chambre a décidé qu’il serait tel et ne pourrait être modifié ; c’est un tarif essentiellement subjectif.

Malheureusement il arrive à cette œuvre si choyée du parlement, un fâcheux accident, et c’est la force des choses qui l’a provoqué. Le tarif minimum a été inventé pour entraver l’action de la diplomatie, paralyser l’initiative constitutionnelle du gouvernement et empêcher la conclusion des traités ; il a donc pour caractère essentiel la fixité, la rigidité. Or, après dix mois seulement écoulés depuis le 1er février dernier, date de l’entrée en vigueur du nouveau régime, le gouvernement est déjà obligé de venir demander aux chambres des modifications, reconnues nécessaires, à ce tarif immuable. Les chambres avaient dépassé le but ; voulant restituer à la France son indépendance commerciale, elles l’avaient isolée. Aujourd’hui, pour traiter avec un pays voisin comme la Suisse, il faut se résigner à des concessions.


II.

La commission des douanes, la majorité de la chambre et du sénat refuseront-elles d’accéder aux conditions demandées ?