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au jugement des faits et de l’expérience, il veut, dit-il, que l’expérience soit loyale et qu’elle ait duré un temps suffisant. Ce qu’il reproche aux ministres du commerce et des affaires étrangères, c’est de demander un remaniement du tarif sous une pression extérieure.

Cette pression, on le sait, est celle d’un honnête et laborieux petit pays, la Suisse. Il est impossible d’empêcher quelques-uns des États voisins de trouver un peu dure notre législation douanière, et, comme en reconquérant nous-mêmes notre indépendance, nous avons du même coup rendu aux étrangers leur liberté d’action, ils songent assez naturellement à des représailles. La Suisse, donc, a failli se fâcher, estimant que les conditions faites par notre tarif minimum à quelques articles importans de son exportation à destination de la France avaient un caractère trop léonin. Notre ministre des affaires étrangères a négocié, mais la Suisse refusait d’accepter, en échange de son tarif conventionnel, le tarif minimum français, s’il n’était apporté à celui-ci des adoucissemens sur quelques points déterminés. Une rupture commerciale était imminente : fallait-il passer outre et froisser impitoyablement un pays ami, avec lequel nos relations de commerce ont toujours été très actives et très fructueuses ? Le gouvernement ne l’a pas pensé ; il lui a paru que des concessions sur un petit nombre d’articles « relativement accessoires » ne détruiraient pas l’économie générale du nouveau régime douanier. Il a conclu avec la Suisse un projet d’arrangement qu’il a présenté à la chambre le 18 octobre dernier, en même temps qu’un Livre jaune contenant l’historique complet des pourparlers qui l’ont conduit à conclure cette convention. Mais il est bien certain que la Suisse ne ratifiera l’arrangement que si le parlement français, en l’adoptant pour sa part, adopte également un projet de loi que le ministère a déposé le même jour et qui propose d’apporter certaines atténuations à notre tarif minimum[1].

On peut se demander pourquoi le gouvernement, au lieu de faire usage de sa prérogative constitutionnelle et d’englober les modifications projetées au tarif minimum dans la convention même conclue avec la Suisse, a préféré en faire l’objet d’un projet spécial. Dans le premier cas, le parlement aurait eu à se prononcer en bloc sur

  1. Les chambres ont à statuer sur trois projets distincts : 1o un projet de loi portant approbation de l’arrangement commercial signé à Paris, le 23 juillet 1892, entre la France et la Suisse ; — 2o un projet de loi portant approbation d’une convention signée le même jour entre les deux pays pour la garantie réciproque de la propriété littéraire et artistique ; — 3o un projet de loi visant des modifications de détail dans le régime d’un certain nombre de marchandises dénommées au tableau A annexé à la loi de douanes du 11 janvier 1892.