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est une atteinte à l’intégrité du tarif. On veut enlever un fragment insignifiant du bloc ; qui assure qu’après ce premier fragment on n’en détachera pas plusieurs autres et que, démoli ainsi pièce à pièce, le tarif tout entier ne s’en ira pas finalement à vau-l’eau ? Le raisonnement ne manque pas de justesse ; il est, d’ailleurs, beaucoup de gens que cette perspective n’effraierait nullement. On comprend toutefois qu’elle excite des appréhensions vives et des colères aiguës dans les rangs des protectionnistes. Malheureusement pour ces intransigeans, l’intérêt politique est ici en complet accord avec l’intérêt économique. Le premier commande de ménager la Suisse qui, si les arrangemens proposés ne sont pas conclus, cherchera ailleurs des marchés, nous laissera isolés dans notre morgue et se tournera du côté de voisins qui ne sont généralement pas soupçonnés de nous vouloir du bien. Quant à l’intérêt économique, il nous invite à ne pas perdre de gaité de cœur, par un entêtement puéril, un marché où nous écoulons une bien plus grande quantité de marchandises que nous n’y achetons nous-mêmes de produits.

Si l’on consulte les tableaux de notre commerce spécial avec la Suisse, représentant les échanges proprement dits des deux pays, on constate qu’en 1891 les importations de Suisse en France ont été de 103 millions de francs, les exportations de France en Suisse de 235 millions. Le produit de nos ventes à la Suisse dépasse donc le double du montant de nos achats à ce pays. Nous vendons en moyenne, chaque année, au-delà du Jura, pour 45 millions de produits agricoles, pour 39 millions de produits textiles, des produits de l’industrie des peaux pour 11 millions, du sucre pour 9 millions, des produits métallurgiques pour 7 millions. Avons-nous donc trop de débouchés que nous songions sérieusement à nous fermer celui-là, à nous brouiller avec d’excellens cliens et qui sont à nos portes ?

La Suisse a conclu l’année dernière avec l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et l’Italie des traités de commerce pour une période de douze années. Les réductions qu’elle a consenties sur son tarif général constituent un tarif conventionnel qu’elle applique actuellement aux produits français. Nos exportations sont soumises, à leur entrée sur le territoire de la confédération, au même traitement que les produits similaires allemands, austro-hongrois et italiens. Mais la Suisse nous a loyalement prévenus que c’était là un état de choses provisoire et qu’il fallait régulariser. Elle offre à nos producteurs le bénéfice des concessions faites par la Suisse aux nations avec lesquelles elle a traité, et quelques autres plus spécialement applicables à certaines de nos productions, parfumerie, ganterie, horlogerie, matériaux de construction, conserves de