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ont été conçus et élaborés, qui fait l’importance et la gravité de la révolution économique, accomplie le 6 décembre 1891. Il y a une grande exagération dans l’expression de « Sedan industriel » qui a été employée pour désigner l’état où ces traités allaient mettre notre fabrication et notre commerce d’exportation, mais l’Allemagne s’est donné le beau rôle en constituant une ligue pour l’aplication d’une politique économique libérale ; elle remettait en honneur le régime des traités de commerce à l’heure même où ce régime était honni et bafoué chez nous.

Il faut relire le discours prononcé le 10 décembre dernier par M. de Caprivi au Reichstag de Berlin pour comprendre quelle signification le gouvernement allemand a voulu que l’opinion publique attachât aux accords conclus entre les puissances de l’Europe centrale. Ce discours contient au vrai la philosophie des traités de commerce annoncés au monde le 7 décembre 1891.

Le chancelier a tenu d’abord, sur les tarifs autonomes de 1879, sur la clause de la nation la plus favorisée et sur l’article 11 du traité de Francfort, des propos peu clairs, assez incohérens, d’où il est difficile d’inférer si, à son jugement, le système établi par son prédécesseur a entraîné plus de conséquences fâcheuses en ses derniers jours qu’il n’avait produit de résultats heureux à son aurore. Sur les traités si laborieux conclus avec l’Autriche-Hongrie et l’Italie, il a été au contraire d’une netteté parfaite. Les traités sont à double effet ; ils ont une portée politique et une portée économique. Sans que M. de Caprivi ait prononcé un seul mot relatif à la forme nouvelle donnée à l’entente franco-russe, il est de toute évidence que l’entrevue de Cronstadt a plus fait que plusieurs années de négociations ardues pour débrouiller l’écheveau des difficultés où se perdaient les diplomates austro-hongrois et allemands. La triple alliance a serré les rangs ; il s’est trouvé que les problèmes douaniers, qui la veille encore paraissaient insolubles, jetaient infiniment aisés à résoudre.

« Je suis d’avis que, lorsqu’on conclut avec d’autres États une alliance dont le but est de maintenir, avec l’aide de Dieu, et pour longtemps, la paix, il n’est pas possible de faire à ces États une guerre économique de quelque durée. » Parole très sage, sinon très profonde, si sage et si conforme au gros bon sens qu’elle en paraît presque prud’hommesque. Naturellement, si on fait une alliance avec quelqu’un, ce n’est point pour lui déclarer la guerre.

Mais considérez que la triple alliance n’était déjà plus d’une extrême jeunesse lorsque les questions des céréales, des bestiaux et des fers continuaient de se discuter sur un ton aigre-doux entre Vienne et Berlin, et que rien ne semblait faire prévoir que ces interminables pourparlers entre alliés jouant au plus fin dussent