Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 114.djvu/601

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

retrouve là le vieux paradoxe de la balance commerciale. Mais le raisonnement qui, appliqué à la France, porterait à faux, est d’une rigoureuse justesse, appliqué à l’Allemagne. L’Angleterre importe beaucoup plus qu’elle n’exporte, mais ne s’appauvrit pas pour cela, tant s’en faut, non-seulement parce qu’elle est un pays extrêmement riche, mais encore et surtout parce qu’elle est créancière en quelque sorte du monde entier, et que les intérêts de ses créances dépassent de sommes énormes le montant porté à son débit dans la fameuse balance commerciale. La France, aussi, importe plus qu’elle n’exporte et ne s’appauvrit pas davantage ; elle s’enrichit même avec une grande rapidité, parce que, si ses créances sur l’étranger sont loin d’atteindre les proportions des créances anglaises, on lui paie néanmoins comme intérêt, chaque année, plus qu’elle n’a elle-même à régler comme solde débiteur de son compte commercial. Encore faut-il, pour que cette situation se maintienne, qu’une politique maladroite ne vienne pas entraver l’essor de son génie industriel en multipliant les obstacles artificiels à son exportation. Qui peut garantir que tel ne sera pas le résultat, aussi triste que rapide, des inventions malencontreuses d’un parlement affolé de protectionnisme ?

Mais l’Allemagne, pays relativement pauvre, et qui n’a que peu de capitaux placés à l’étranger, avec quoi solderait-elle un déficit commercial annuel de 800 millions qu’aucune rentrée de quelque importance ne vient compenser ? Il faut donc que ce déficit disparaisse ou s’atténue ; comment ? Par la diminution des importations ou par l’augmentation des exportations ? Une nation jeune, faible encore de population et plus riche d’espérances que de fonds, peut, après une période d’expansion aventureuse et de folles témérités économiques, lorsque le krach inévitable a éclaté, ramener d’un seul coup à des proportions très modestes le montant de ses importations ; c’est le phénomène que l’on a vu se produire en 1891 dans la République Argentine, Mais il n’est pas possible à l’Allemagne de recourir à ce remède héroïque : « Ce que nous importons de l’étranger, dit M. de Caprivi, nous est absolument nécessaire : ce sont des denrées alimentaires indispensables, et des matières premières ou demi-fabriquées, que notre industrie attend.» Une diminution des importations étant impossible, l’unique moyen de salut contre le déficit mercantile, contre les 800 millions à payer chaque année à l’étranger créditeur, c’est l’augmentation des exportations, objet qui ne peut s’atteindre que par des traités de commerce conclus à longue période et fondés sur des concessions réciproques que consentent les contractans sur leurs tarifs respectifs. Maintenir les anciens débouchés d’exportation et en