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par écrit. Cependant parurent plusieurs biographies de Louis IX. Deux d’entre elles, celles de Geoffroy de Beaulieu et de Guillaume de Chartres, émanaient d’hommes qui avaient vécu dans l’intimité du prince ; une autre était l’œuvre du confesseur de Marguerite de Provence, et l’on y pouvait trouver, en même temps que le résumé des deux enquêtes sur la vie et sur les miracles de saint Louis, la trace des confidences de la reine. Par malheur, tous ces auteurs se préoccupaient d’être éloquens, et l’éloquence, pour les lettrés de ce temps, c’était l’emploi d’un style pompeux et sans vie, l’encombrement du récit par une foule de citations bibliques et de plates allégories. Les morceaux empruntés par le confesseur de la reine à la déposition de Joinville dans le procès de canonisation, rapprochés des passages des Mémoires où sont racontés les mêmes faits, permettent d’apprécier combien les œuvres pesantes des clercs présentaient moins d’intérêt que les récits animés du chevalier. Enfin on pouvait étendre à tous ces ouvrages le reproche adressé par Guillaume de Nangis à Geoffroy de Beaulieu : les faits de guerre et les affaires séculières y étaient entièrement passés sous silence.

Sans doute, il y avait d’autres livres où cette lacune n’existait pas ; c’étaient ceux qui s’élaboraient à Saint-Denis, tels que la Vie de saint Louis, par Guillaume de Nangis, ou les ouvrages qui l’avaient précédée et dans lesquels Guillaume avait été chercher la matière du sien. Elle n’existait pas à coup sûr dans le seul de ceux-ci que nous puissions juger, celui de Primat, dont Jean de Vignay nous a donné la traduction. Chez Guillaume, le récit est fidèle ; les faits de tout genre et même les hors-d’œuvre abondent, mais l’écrivain a donné en réalité une chronique générale du temps de Louis IX plutôt qu’une histoire particulière de ce roi. Enfin tous ses renseignemens ne sont que de seconde main, et son style n’est pas moins ampoulé que celui des autres clercs. On conçoit donc facilement le peu d’attrait que ces œuvres devaient avoir pour ceux qui avaient pu écouter les narrations familières du sire de Joinville.

S’il nous est donné de prendre place, en quelque sorte, parmi ces auditeurs privilégiés, si nous possédons aujourd’hui le précieux livre où nous allons chercher, en même temps que l’un des plus anciens textes historiques en langue française, le vivant portrait de notre plus grand roi, c’est à une femme, à la jeune reine, Jeanne de Navarre, que nous en sommes redevables. L’héritière des comtes de Champagne aimait fort son vieux sénéchal ; elle lui demanda avec instances de réunir en un livre les anecdotes qu’elle lui avait entendu raconter. Aucune préparation n’était nécessaire,