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Il a compulsé les mémoires du temps pour en tirer tous les renseignemens, toutes les anecdotes qui la concernaient de près ou de loin ; il a interrogé les membres de la famille impériale, ceux qui avaient le mieux connu cette aïeule devenue infirme, qu’on promenait dans ses salons sur un fauteuil à roulettes. Il s’est appliqué à retrouver ses lettres, et à force d’ingénieuse patience, il en a recueilli jusqu’à cent cinquante. Il avait réussi à se procurer et il a publié le premier les quelques feuillets dont se compose l’essai d’autobiographie dicté à Mlle Rosa Mellini. On lui reprochera peut-être d’avoir été prolixe, de n’avoir pas serré son sujet d’assez près ; mais on peut affirmer que quiconque aura lu les premières pages de son livre le lira jusqu’au bout avec un vif intérêt. La signora Letizia ne fut pas seulement la mère d’un grand homme ; parmi les figures de femmes qui, le voulant ou ne le voulant pas, ont joué un rôle dans l’histoire, il en est peu de plus attachantes, de plus originales, de plus curieuses à étudier.

Mais pour que cette figure ait tout son prix, il convient de la voir telle qu’elle était, sans y rien ajouter, sans y rien changer. Il ne faut pas dire avec Michelet que « la mère de Napoléon semblait avoir incarné en lui tous ses songes. » Elle n’était pas songeuse, et si Goethe avait hérité de sa mère le goût de conter, ce n’est pas de la sienne que Napoléon tenait sa dévorante imagination. Il ne faut pas non plus, comme un poète italien, la transformer en Niobé, ou comme Stendhal, la comparer aux Cornélie, aux Porcia, à ces fières aristocrates qui auraient cru faire honneur aux reines d’Egypte ou de Syrie en les priant de leur attacher les cordons de leur chaussure. Mme Letizia ne doit être comparée à personne, car elle ne ressemblait qu’à elle-même. Gérard l’a peinte comme il désirait qu’on la vît, Chaudet a fait son buste d’après l’antique, des camées la représentent le front ceint d’un bandeau d’impératrice romaine. Mais de tous les portraits dont M. Larrey a enrichi son livre, celui que je préfère de beaucoup est celui qui a le plus de caractère parce qu’il est le plus simple, et le plus simple est celui que dessina à Rome, d’après nature, la princesse Charlotte Napoléon, et qui nous montre une vieille femme assise dans un fauteuil, la tête couverte d’une coiffe de mousseline, une collerette de deuil autour du cou, retombant sur la pèlerine unie d’une robe à taille courte et à ceinture large. Cette vieille femme n’a rien de majestueux, mais sa petite-fille avait de bons yeux, elle savait rendre ce qu’elle voyait, et cette figure exprime la parfaite dignité, une fermeté d’âme accompagnée de finesse, la rectitude presque infaillible du bon sens. Elle semble dire : « Je suis ce que je suis, » — Et toute sa vie Mlle Letizia s’est donnée pour ce qu’elle était.

« Mon père, écrivait Napoléon, se maria à une noble et excellente femme, Maria-Letizia Ramolino. Ma mère avait dès sa jeunesse autant