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pour un aussi long temps que nous pouvons l’imaginer, très suffisamment étendu.


I

Darwin eut un jour l’idée que la musique ne restait peut-être pas sans effet sur la vie des végétaux. Il voulut vérifier, et fit jouer à une plante des airs de basson qui, je crois, n’eurent aucun résultat. Ce grand savant aimait assez ces tentatives singulières qu’il appelait, avec sa bonhomie et sa modestie habituelles, des « expériences d’imbécile. » Un véritable philosophe doit braver le ridicule, et il n’est pas pour lui d’expérience inutile. Si l’on ne tentait jamais l’impossible, on ne connaîtrait jamais les bornes du réel. On ne peut donc que féliciter de leur indépendance les chercheurs qui ont osé observer des faits repoussés par les opinions en faveur ; ce qu’il faut seulement leur demander, c’est que leurs expériences soient précises et faites dans de telles conditions que le résultat en soit aussi net que possible.

Ceci est plus difficile qu’on ne pense, quand il s’agit de phénomènes aussi délicats, aussi fugitifs que ceux dont je m’occupe ici. Si sincère que l’on puisse être, si sincères que soient les personnes avec qui on se trouve, il faut constamment se méfier de soi-même et se méfier des autres. Il est si naturel de donner, même involontairement, le « coup de pouce » qui fera réussir une expérience ! Tout le monde connaît ce jeu que les expériences de Cumberland et de quelques autres ont popularisé chez nous et qui consiste à faire exécuter un ordre, sans l’exprimer, par une personne qui nous tient la main. Les petits mouvemens inconsciens qui dirigent le sujet sont l’indice irrécusable de l’involontaire complicité de celui qui lui commande. La rapidité avec laquelle l’ordre est bien souvent exécuté montre la force et la subtilité de ces intelligences aveugles qui, chez deux personnes, peuvent s’entendre et se diriger l’une l’autre sans l’intervention de la conscience et de la volonté.

Contre ces complicités inconscientes, contre toutes les causes qui peuvent les faire naître, il faut sans cesse multiplier les précautions, et, même avec beaucoup de prudence, on est encore exposé à se tromper. Vous concentrez, par exemple, votre attention sur l’idée d’un acte — jouer du piano — que vous voulez faire exécuter par une personne présente. La personne en question se lève et fait ce que vous avez désiré. Vous ne pouvez rien en conclure si vous n’établissez pas comment vous avez été amené à choisir cet acte plutôt qu’un autre, et s’il n’est pas établi que la personne qui l’a