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dandy aux boucles noires, déguisé en pair d’Angleterre, voit du haut de sa statue, au primrose-day, la main des ladies les plus titrées, répandre à ses pieds des corbeilles de sa fleur favorite. — Plus que Disraeli, le self-made leader des aristocrates britanniques, qui a rajeuni pour un demi-siècle le torysme décrépit, Lassalle et Gambetta, l’apôtre du socialisme et le patron des nouvelles couches nous ont fait voir le Juif dans un rôle nouveau : le roi de la parole, dompteur des assemblées et fascinateur des masses, le prophète des derniers temps, annonçant aux peuples l’Évangile démocratique, acteur lui aussi, tour à tour tragédien et comédien, mais avec une fougue, avec une puissance de vie animale, une ardeur de tempérament, une génialité en un mot qu’on n’attendait guère du vieux sang d’Israël. Que reste-t-il en ces riches natures du juif étriqué des ghettos ? Prenez le profil de Gambetta à la courbe judaïque si marquée : la maigre face du Juif s’y élargit en masque léonin. De même au moral, où se retrouve chez eux le sémite ? Dans leur aplomb, peut-être, dans leur imperturbable confiance en soi ? dans leur sens du réel et du possible, dans la netteté de leur vision, au milieu de leurs emportemens et de leurs violences, dans leurs calculs à froid jusqu’en leurs témérités et leurs folies apparentes ? Et tout cela encore s’est rencontré chez qui n’avait pas une goutte du sang des tribus. De tous les avatars du Juif contemporain, ce moderne Prêtée, c’est là, en tout cas, le plus récent et le plus étonnant. Ne pas l’indiquer, c’eût été donner de lui un portrait tronqué.

Veut-on les considérer comme une race, une sorte de nationalité éparse au milieu des autres, que d’aptitudes diverses se rencontrent chez les fils de Jacob ! Cela serait déjà, chez eux, un trait ancien, témoin les grands rabbins du moyen âge à la fois ou tour à tour médecins, mathématiciens, grammairiens, poètes, philosophes, parfois financiers et administrateurs. Vous plaît-il de réunir sur une seule tête, dans un personnage imaginaire, les principaux traits de la race, le Juif moderne, le Juif cultivé qui s’est insinué dans notre société, ressemble à un jeune homme d’une intelligence précoce, ouverte presque également en tous sens, calculateur d’instinct, pratique de caractère, cachant parfois sous des tendances positives un grain de poésie vite desséché, — à un de ces jeunes gens tels qu’il nous en arrive chaque année de province, du Midi notamment, se sentant plus ou moins aptes à tout, et grâce à leur agilité intellectuelle ayant en effet de quoi réussir partout.

Mais cette variété d’aptitudes n’implique pas l’originalité. Elle ne prouve nullement qu’Israël ait un génie national. Loin de là, elle laisse croire que le Juif se distingue moins par la personnalité