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première était empruntée à l’état de la peinture au moment où il écrivait. Les deux artistes qu’il trouvait les plus originaux et les plus forts, Millet et Courbet, représentaient exclusivement des types et des scènes populaires. Il justifiait ainsi leurs préférences : « Puisque le haut et le milieu de la société, s’étant banalisés, n’offrent plus que des traits uniformes et monotones, il est tout simple que l’art s’en aille chercher ailleurs des images neuves, énergiques, vivaces, originales. » Les hautes et les moyennes classes n’étaient ni plus ni moins banales alors qu’en d’autres temps ; mais, distinguées ou prétentieuses, elles avaient toujours le même intérêt pour l’artiste capable de saisir leur genre de pittoresque, le propre de l’art comme de la littérature consistant à faire saillir la part d’originalité qui existe dans la banalité elle-même. L’erreur dans laquelle Thoré ne tombe pas encore tout à fait, mais qui était générale autour de lui, consistait à croire que le pittoresque est seulement dans le peuple. Il dit avec plus de justesse : « Il n’y a point à blâmer en eux-mêmes les sujets populaires qu’adoptent de préférence les peintres réalistes, mais bien leur peinture, quand la trivialité y domine, au lieu de l’originalité. » On peut encore lui accorder, à la condition de ne pas étendre sa remarque, comme il semble le faire, à tous les artistes de son temps, que « la singularité de Millet et de Courbet, au milieu de l’afféterie des artistes contemporains, tient à ce qu’ils se sont mis à regarder la nature, désertée pour des idéalités vagues et fallacieuses.» Il n’y a de même qu’à approuver cette remarque : « C’est toujours par le retour à la vérité naturelle que se sont régénérés les arts à toutes les époques. » D’autant plus qu’il la complète par cette autre, très fine, dans laquelle pourrait bien se trouver la vérité sur le naturalisme : « Le naturalisme reparaît toujours aux momens de transition. » Alors, en effet, a le retour sincère, naïf, un peu sauvage même, presque cynique parfois, et parfois austère, à la nature plus ou moins inculte » est une protestation et un remède « contre le mécanisme et les déréglemens civilisés. » Ainsi, Thoré fait d’expresses réserves sur la peinture brutale, qui était la principale partie, et la moins bonne, du réalisme. Il continue à les marquer en termes très nets et dit des réalistes : « Le malheur est qu’ils n’ont guère d’esprit et qu’ils méprisent le dessin. Ces précurseurs de la transfiguration d’un vieil art épuisé ne sont jusqu’ici, pour la plupart, qu’impuissans ou grotesques. » Il va plus loin et n’admet pas la « division absurde » que l’on veut établir entre le réalisme et l’idéalisme, choses « inséparables » en art. « Il est seulement vrai de dire, ajoute-t-il, que les peintres en général semblent se rapprocher de la nature, que les sujets mystiques et les symboles des vieilles superstitions sont de plus