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les conditions mêmes de ces expériences et de ces observations rendent le contrôle bien difficile. Mme Sidgwick, par exemple, cite une fort remarquable série d’expériences faites avec des cartes. La personne qui faisait ces expériences ne pouvait bien réussir que dans une solitude complète. Une note des Annales des sciences psychiques nous dit : « Quant à la bonne foi et à la bonne observation de l’opérateur, l’autorité de Mme Sidgwick est absolue. » Mais quelqu’un qui ne connaît pas Mme Sidgwick ni son amie est obligé de s’en rapporter aux Annales, qui s’en rapportent à Mme Sidgwick, qui s’en rapporte à son amie. Une confiance obligée à tous ces détours peut bien s’évaporer quelque peu en route. C’est l’objection à faire à beaucoup de récits. Il est difficile que, dans plusieurs cas, la conviction ne reste pas purement personnelle, et ne dépende pas du plus ou moins de connaissance que l’on a de l’observateur ou de la personne qui s’en fait le garant.

Si la transmission mentale et la télépathie n’ont pas encore ce qu’on peut appeler la certitude expérimentale, — bien plus rare, au reste, qu’on ne le paraît croire, même dans les sciences qui relèvent de l’expérience proprement dite, — il ne faut pas en conclure que nous devions les rejeter. Les raisons d’affirmer ne sont pas irrésistibles, les raisons de nier sont encore bien plus faibles. Elles se fondent trop souvent sur la paresse mentale, sur la routine de l’esprit, qui trouve des prétextes plus ou moins spécieux pour ne pas se laisser déranger de ses habitudes. Il ne suffit pas de parler de « surnaturel » et d’invoquer « l’amour du merveilleux » pour annuler des expériences consciencieusement faites et des observations nombreuses soigneusement recueillies. L’amour du merveilleux n’est pas beaucoup plus impérieux chez l’homme que l’horreur du changement et la crainte de l’inconnu. Quant au surnaturel, il sera temps de s’en inquiéter quand on aura déterminé les limites de ce qui est naturellement possible. Il semble, en réalité, que nous ayons pénétré tous les secrets du monde, à voir la facilité avec laquelle on parle couramment de ce qui se peut et de ce qui ne se peut pas. Il n’est cependant pas besoin d’une étude bien approfondie pour reconnaître les lacunes, les bornes et les défaillances de notre savoir. Quand on considère l’homme, on est confondu de sa grandeur, si l’on pense aux apparences trompeuses qu’il a su reconnaître, aux vérités cachées qu’il a su découvrir, à son action incessante sur le monde ; on est effrayé de sa petitesse, si l’on songe à tous les problèmes insolubles pour lui auxquels ses découvertes le conduisent, à tous les maux qui restent sans remède. Il faut presque s’aveugler volontairement pour vouloir fixer les bornes du possible.