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qualités communes rapprochaient de lui ; il l’étudia avec ardeur, non sans jeter parfois un coup d’œil complaisant sur le chef-d’œuvre de Ghiberti, sur ces portes du baptistère qu’il proclamait dignes de figurer à l’entrée du paradis. L’imitation de Donatello fut chez lui tantôt volontaire, tantôt inconsciente, et elle se poursuivit, à travers de nombreuses interruptions, depuis ses débuts, la Madonna della casa Buonarroti, jusqu’à son Moïse, inspiré, comme je l’ai établi ailleurs, du Saint Jean sculpté par Donatello pour la cathédrale de Florence. Michel-Ange lui prit le secret même de son style, cet art de faire vibrer les figures et de les animer comme par une secousse électrique, de mettre de la passion et de l’éloquence jusque dans les draperies, en un mot, ce sentiment dramatique si profond et cette agitation fébrile, signes distinctifs des temps nouveaux. Mais nous avons des emprunts plus directs encore : un des personnages des portes de bronze de Donatello, à San Lorenzo, debout, tourné à droite, la main gauche étendue, annonce le Père éternel qui figure dans la Création d’Eve de la chapelle Sixtine. Le mouvement de la tête est presque identique ; le type même offre une grande analogie ; seul le bras est plus élevé chez Michel-Ange, de même que les draperies sont infiniment mieux arrangées chez l’élève que chez le précurseur. On constatera également la ressemblance du type de la Madone de Bruges avec la Judith exposée sous la Loge des « Lanzi. »

Je mentionnerai dès à présent, quoiqu’elle ne se soit manifestée que plus tard, après son voyage à Bologne, l’influence si profonde, si persistante, exercée sur le jeune sculpteur florentin par Jacopo ou Giacomo della Quercia, le puissant sculpteur siennois (1371-1438). Assurément, ceux qui se complaisent uniquement dans l’admiration de la souveraine élégance des primitifs florentins, tels que les Ghiberti, les Rossellino, les Desiderio, les Majano, n’apprécieront pas le génie plus austère de della Quercia, l’homme de la grande sculpture monumentale, le créateur de figures amples et graves, animées d’un souffle véritablement épique, éloquentes par l’attitude et par le mouvement général plus encore que par le geste. La recherche des grandes lignes, opposée à celle de la finesse, si chère à Ghiberti, la fierté de l’homme qui dédaigne de plaire, sûr qu’il est d’émouvoir, un mélange d’allure et de hauteur, voilà quelques-uns des traits de cet artiste encore trop peu connu. Comparé à ses émules florentins. della Quercia manque de netteté dans les idées et dans l’expression ; il ne possède à aucun degré ce que l’on appelle un tempérament littéraire ; il conçoit et exécute péniblement. Mais quelle vie latente et quelle force contenue dans ses figures encore un peu impersonnelles ! Comme il a repris