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Bramante, spirituel et vindicatif ; la guerre ne tarda pas à éclater entre eux, guerre épique qui mit en œuvre toutes les ressources de leur esprit et à laquelle leurs créations ont peut-être dû leur suprême perfection.

Je passe sur les péripéties de la rupture entre l’artiste et Jules II : elles sont suffisamment connues. Il en est de même de l’entrevue de Bologne, de la scène de la réconciliation, de l’exécution de la statue en bronze du pape, détruite quelques mois plus tard pendant une sédition.


V.

Au printemps de l’année 1508, Michel-Ange était de retour à Rome. Il semblait qu’il dût reprendre sans tarder les travaux du tombeau papal. En aucune façon. Quoique commencé deux années auparavant, ce monument ne fut terminé, et encore ne le fut-il qu’imparfaitement, que longtemps plus tard. Pour n’en pas scinder l’histoire, je raconterai dès à présent les péripéties de ce que l’artiste appelait la tragédie de sa vie, et de fait, pendant plus de quarante ans, le tombeau de Jules II pesa comme un cauchemar sur l’imagination de son auteur.

D’après le projet auquel le pape et l’artiste s’arrêtèrent, vers 1512, le mausolée devait comprendre, autour d’un sarcophage colossal, une enceinte en marbre avec des statues, les unes placées dans des niches, les autres devant des piliers, les premières représentant des Victoires et des Provinces vaincues ; les secondes, les Arts libéraux. Un second étage devait recevoir quatre statues de plus grande dimension.

Michel-Ange commença par les statues de Prisonniers ou d’Esclaves. (Un dessin de l’Université d’Oxford contient des esquisses pour des figures enchaînées, les bras liés derrière le dos, les jambes croisées, dans les attitudes les plus dramatiques.) Il exécuta en premier lieu (vers 1512, d’après Springer) les deux statues d’Esclaves, aujourd’hui la gloire du musée du Louvre. Comme, par suite des nombreuses transformations que subit le projet primitif, elles ne purent être utilisées, Michel-Ange les donna, vers 1544, à son ami Robert Strozzi, de Rome, des mains duquel elles passèrent en France. On les trouve ensuite au château d’Écouen, la résidence princière du connétable de Montmorency, puis, au siècle suivant, en la possession de Richelieu.

La signification des deux statues a donné lieu à une foule d’hypothèses. Le système le plus rationnel est celui auquel s’est arrêté