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La masse des expériences, la répétition des faits a son éloquence ; cette éloquence peut tromper, pourtant elle a sa valeur. Si l’on compare les divers résultats obtenus par tant d’observateurs, les expériences sur la transmission des sensations, sur le sommeil à distance, sur la communication de la pensée et la suggestion des mouvemens au moyen de l’appareil du spiritisme, sur la lucidité, les observations sur la télépathie, si l’on songe à l’énorme masse de faits rassemblés, si l’on considère le soin avec lequel les expériences ou les observations ont été faites, la valeur, l’intelligence, le caractère de beaucoup de témoins, le scepticisme de quelques-uns, la variété des témoignages, si l’on ne néglige pas les détails dont quelques-uns sont très précieux (comme les différences sensibles relevées par les auteurs anglais entre les hallucinations ordinaires et les hallucinations télépathiques), si l’on voit enfin que tout ce que j’énumère s’unit pour rendre vraisemblable soit une connaissance des faits, soit une transmission des pensées à distance par des moyens encore inconnus, il ne semble pas possible d’en nier la réalité. Ne l’affirmons pas encore, par prudence. Mais reconnaissons que la même prudence nous conduirait à douter, soit dans le domaine de l’histoire, soit dans le domaine des sciences, de bien des croyances communes, ce qui, après tout, ne serait peut-être pas un mal. À parler rigoureusement, il est très peu de choses, s’il en est, dont nous soyons absolument certains. Disons donc seulement que tant d’efforts ont sans doute fini par rendre admissible et vraisemblable cette faculté de l’esprit qui rend quelques-uns de nous sensibles, parfois, aux influences éloignées. Nous pouvons le faire sans manquer aux règles de l’esprit scientifique. De la négation complète au doute absolu il y a bien des degrés : je crois que nous les avons franchis. Du doute absolu à la certitude il y en a encore autant. C’est à l’un de ceux-là, à peu près à égale distance de la certitude et du doute, que nous devons, à mon avis, nous arrêter.


IV

Je voudrais à présent examiner, autant que les faits me le permettront, le mécanisme psychologique de la suggestion mentale ou de la télépathie, c’est-à-dire non pas rechercher comment l’impression parvient à l’esprit qui la ressent, mais bien comment l’esprit la perçoit, une fois qu’elle lui est parvenue. Nous pourrons ainsi peut-être rapprocher la perception télépathique des opérations connues de l’esprit, et ceci aurait le double avantage d’écarter les théories transcendantes, au moins dans une certaine