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III.

Décrire le mal n’est qu’un exercice de philosophie ; récriminer contre ce mal, une satisfaction d’opposant politique. Le remède, le mode d’action immédiate dans notre pays, voilà ce que doit chercher un cœur patriote. — Soin inutile, diront les pessimistes ; les dés de fer du destin sont jetés, on ne pourra reconstruire qu’après le passage de la trombe. Peut-être voient-ils trop bien, et je leur ai fait la part belle dans les considérations qui précèdent. Mais on perd le nom d’homme quand on ne lutte pas jusqu’à la dernière minute, tant qu’il reste une chance de soutenir la maison en la réparant.

Laissons de côté pour l’instant les espoirs à longue échéance, où les volontés particulières ne peuvent pas grand’chose : réforme des mœurs, restauration des idées saines, transformation des esprits par l’éducation ; admirables sujets à mettre en vers latins, comme dit l’autre, thèmes de harangues universitaires ; on ne fait ni vers ni harangues pendant que la maison croule. Écoutons avec sympathie, mais sans beaucoup d’illusion, les nobles voix qui préconisent le groupement et l’initiative des honnêtes gens. Une fâcheuse expérience nous enseigne qu’il y a incompatibilité entre ces deux mots, initiative et honnêtes gens. Les honnêtes gens appuient quelquefois les efforts que l’on tente pour leur salut, c’est grand bonheur quand ils ne les contrarient pas ; ils ne les provoquent jamais. Écoutons de même avec admiration les hommes de bonne volonté, quand ils opposent aux images trop noires de notre état social les œuvres d’assistance et de rapprochement fondées en si grand nombre par leurs soins ; on ne saurait trop les encourager ; mais je ne puis partager la confiance que mettent en leurs préservatifs ces quelques justes, qui ne sauveront pas Sodome ; je crains que les exemples individuels ne suffisent plus, à l’heure présente, s’ils ne sont pas secondés par une direction générale et méthodique. Écoutons enfin toutes les sages et belles paroles qu’on entend, on n’en entendit jamais davantage ; constatons seulement qu’elles éveillent peu d’échos, parce que ce pays attend des actes, parce qu’il est las de la parole, quand elle n’est pas mère d’un acte.

Écartons d’autre part toutes les offres de remèdes qui ne sont que des récriminations déguisées, des plaidoyers pour ou contre tel moment du passé. Nul ne peut ressusciter le passé, ni abolir les conséquences qu’il a engendrées. Écartons d’une main respectueuse, mais ferme, ceux qui imputent tous nos maux à notre étiquette de gouvernement, ceux qui feignent de croire que ces maux guériront miraculeusement par la vertu seule de cette étiquette. Les premiers