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petits effets, ils ne produisent aucun effet. » Ah ! sans doute, quelques feuilles crieraient à tue-tête, le premier jour, à la trahison, au coup d’État, au pouvoir personnel. Fort de sa conscience, les textes en main, le président pourrait laisser passer l’orage avec tranquillité ; s’il savait seulement combien la France est indifférente à tout le personnel politique avec lequel on la confond, et combien, derrière notre rideau parisien, l’âme populaire se soucie peu de tout ce qui enflamme les spécialistes : traditions parlementaires, concentration républicaine, dosages de groupes et d’ambitions. On se trompe sur le pays, parce qu’on le juge d’après ses votes ; or, les aspirations nouvelles d’un peuple se traduisent rarement par des votes ; en temps ordinaire et en l’absence de toute indication supérieure, les votes n’expriment exactement que le rapport entre la force du gouvernement et la force des anciens partis d’opposition. Quand cette dernière décroît, le pouvoir existant semble gagner tout ce qu’elle perd, parce que les électeurs n’ont à choisir qu’entre deux termes ; la masse est trop esclave de l’habitude, trop paresseuse pour en inventer un troisième. Qu’on dissolve la chambre sans indication, et le pays renverra à peu près les mêmes députés. Mais vienne une direction claire, énergique, qui donne une formule aux aspirations confuses, et de ce même corps électoral sortira une représentation toute différente. Gouverner, c’est prévoir, a-t-on dit souvent : prévoir est beaucoup d’ambition pour l’homme ; on dirait mieux et plus modestement : gouverner, c’est revoir. Qu’on se rappelle l’histoire d’hier, et, entre tant d’autres leçons, la stupeur produite par la première élection du Nord : malgré l’administration, malgré la grande presse, malgré les comités organisés, tout un département s’évadait en quelques jours des cadres accoutumés, parce qu’il avait vu luire une espérance d’en sortir. — M. le président de la République peut provoquer surtout le territoire cette même évasion, en faisant briller de nouveau l’espérance d’un gouvernement ; sans périls pour nous, cette fois, et sans remords pour lui.

L’instrument une fois acquis par ce premier acte d’énergie légale, — Et on ne peut l’acquérir qu’à ce prix, — nous verrions enfin un pouvoir organisé pour la vie gouvernementale, et non plus pour l’agonie de chaque jour dans les capitulations parlementaires. Pour peu qu’il fût délégué en des mains capables ce pouvoir ne s’userait plus sur les menus incidens qui énervent l’opinion ; il poursuivrait résolument, méthodiquement, les quatre grandes tâches que ce moment de l’histoire impose à notre pays. D’abord et avant tout, la tâche sacrée de relèvement, de préparation du rachat : elle est heureusement commencée, il ne s’agit que de la continuer, en rendant à nos amis une confiance peut-être ébranlée. — La tâche coloniale,