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reforment à la mort du père, du fils, du petit fils, etc., pour uniformiser des parts que la nature, le nombre des enfans, dérangeaient sans cesse. C’est là, sans doute, ce que rêve pour nous le vrai communiste. À l’Est, dans l’histoire des Burgondes, comme à l’Ouest, dans celle des Bretons, on trouve la trace de ce modèle d’établissemens. Forêts immenses pour la chasse, vastes pâturages pour les troupeaux, c’est la marche, qui appartient à tout le canton, au pagus. Les villages s’y taillent leur communal à part, et les habitans leur lot séparé ; mais avec quelle parcimonie !

Les hommes primitifs ont, par une sorte d’instinct de bêtes, longtemps lutté contre la propriété individuelle ; partout on les voit se défendre d’elle et la repousser. Ils imaginent, pour l’empêcher de prendre pied, mille combinaisons et stratagèmes. Pourtant elle les a terrassés ; la civilisation l’imposait ; il n’y avait pas de civilisation possible sans elle. Au XVe siècle, disparut ainsi la colonge alsacienne, type du franc-alleu rural de jadis. À la forme ancienne d’exploitation socialiste succéda, sur la demande des intéressés, le bail héréditaire : « Une grande partie des terres, disent les chartes, demeure inculte, parce que, les fermiers d’une tenure étant solidaires les uns des autres, les bons cultivateurs craignent d’être punis pour les mauvais. »

Ce n’est donc pas sur je ne sais quelle tradition sacro-sainte, sur un fondement antique et mystérieux, qu’il convient d’asseoir la propriété foncière individuelle. C’est, comme tous les économistes se sont attachés à le démontrer, sur l’utilité générale qu’elle repose, c’est l’utilité générale qui l’a créée, qui l’a maintenue malgré bien des atteintes passagères ou partielles, qui lui a valu d’être mise au rang des « droits naturels et imprescriptibles » de l’homme, par la révolution française. Cette révolution, quoique, — suivant en cela de mauvais précédens monarchiques, — elle ait violé effrontément à plusieurs reprises la propriété privée, l’affranchit néanmoins de ses dernières entraves, la simplifia, et finit par la laisser plus entière et plus forte. L’histoire nous apprend que la propriété foncière, sous sa forme actuelle, loin d’être, comme certains esprits ignorans sont portés à le croire, un vestige du passé qu’on a omis de faire disparaître, est au contraire une conquête du présent que l’on vient de consolider.

Il est vraisemblable que, sous la domination du chef barbare à peine décrassé, dans la France à peine peuplée des temps mérovingiens, la plus grande partie de la terre était ce qu’elle est aujourd’hui sur les confins du monde civilisé : une res nullius, un bien à peu près sans maître parce qu’il est sans valeur.

Ce fut l’époque de la formation de la fortune ecclésiastique : le Gallo-Romain, mâtiné de Franc, de Goth ou de Burgonde, qui