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suivi Blenheim et Ramillies. Un de ces pamphlétaires déplore même, en 1709, que le projet récent d’une chambre de justice n’ait pas abouti. Il demande qu’on livre « cent de ces petits tyrans à la juste fureur des peuples, un petit jour de halle, » et qu’on enferme toutes leurs maîtresses aux Madelonnettes après leur avoir donné le fouet : — « J’admire encore, s’écrie-t-il, la docilité du peuple qui les fournit, qui se laisse éclabousser par tous ces beaux carrosses qu’ils ont payés malgré eux et qu’ils ne se déchaînent pas contre ceux qui les remplissent en les assommant lorsqu’ils passent sous leurs yeux. Quoi ! des millions d’âmes dont Paris est rempli ne peuvent détruire quatre cents misérables laquais revêtus qui leur coupent journellement la bourse ! » — Voilà ce qui s’écrivait à Paris, sous la rubrique de Cologne, à la date même où l’on répétait Turcaret à la Comédie-Française.

De là les efforts des partisans pour en prévenir la représentation, en achetant l’auteur, qui ne voulut se vendre à aucun prix. De là aussi la connivence du pouvoir, tout heureux de détourner de lui sur les fermiers et sous-fermiers la colère et l’inquiétude publiques. Nous lisons, en effet, dans un pamphlet, daté de l’année même où fut joué Turcaret, un passage qui indique clairement la tactique officielle. Qu’on pèse ces distinguo d’une délicatesse au moins officieuse : — « Ce qui attire aux partisans cette haine générale des hommes, dit l’auteur des Partisans démasqués, ne provient que de la manière orgueilleuse et sans miséricorde dont ils se servent pour lever les impôts que le roi est forcé d’exiger de ses sujets pour soutenir sa gloire et les intérêts de sa couronne, contre tant d’ennemis ligués et jaloux de sa grandeur… Elle fait mille fois plus de peine à tous les peuples que l’impôt même. »

On comprend maintenant à merveille pourquoi la première représentation de Turcaret était reculée indéfiniment par les comédiens et les comédiennes, plus accessibles sans doute que l’auteur aux argumens et aux espèces de messieurs les partisans, pourquoi ce dernier en appelait à l’opinion publique par des lectures réitérées dans les salons, pourquoi enfin la pièce fut jouée par ordre. L’ordre officiel de « Monseigneur » n’existe plus aux archives de la Comédie, mais il y a été vu et copié par les frères Parfaict. Il porte la date du 13 octobre 1708 et les considérans en sont précieux. Les voici : « Monseigneur étant informé que Messieurs les comédiens du roi font difficulté de jouer une petite pièce intitulée : Turcaret ou le Financier, ordonne auxdits comédiens de l’apprendre et de la jouer incessamment. » Cet ordre, sans réplique possible, put être donné ou par le grand-dauphin, qui s’était vu refuser d’argent par les traitans, ou par le duc de Bourgogne et son conseil, « le