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femme tient à la main un chiffon pour essuyer les souliers et qu’un ribaud s’approche d’elle pour y torcher ses pieds, il ne lui fait pas grande injure ; mais s’il voulait prendre pour le même usage un coussin d’écarlate, elle ne le laisserait pas faire. » Les sermons de Robert foisonnent d’images de cette espèce, mais on pourra se convaincre bientôt qu’elles sont toujours employées avec à-propos, avec esprit, avec ce tact naturel qui ne s’enseigne point, grâce à l’édition partielle des œuvres du maître qui se prépare présentement en Sorbonne.

À côté d’un Robert de Sorbon ou d’un Nicolas de Biard, la liste des prédicateurs populaires du temps compte naturellement plus d’un lourdaud, à la fois sans tenue et sans esprit. Mais à quelle époque les modes, bonnes ou mauvaises, n’ont-elles pas été exagérées, compromises par des maladroits ? Les énormes facéties d’un Jean des Alleus ne tirent pas davantage à conséquence que les absurdes allégories des Victorins les plus mal doués. Il convient d’observer cependant que le ton des sermons de la fin du XIIIe siècle est, en général, d’une octave au-dessous de celui des sermons contemporains de saint Louis. Une décadence se marque, amenée, comme il arrive, par le développement de germes qui, longtemps inoffensifs, manifestèrent tout à coup une activité dissolvante. Les premiers prédicateurs populaires avaient le mot pour rire ; les derniers, pour stimuler des auditoires blasés, ont employé avec excès le gros sel et les pitreries. Les uns égayaient le discours d’anecdotes choisies, les autres l’ont surchargé de « contes de bonnes femmes, » aniles fabulas, pour employer l’expression d’un concile scandalisé.

La décadence fut d’ailleurs singulièrement accélérée sous le règne de Philippe le Bel par deux agens très efficaces : l’habitude du plagiat et l’enseignement par les professeurs d’éloquence sacrée de procédés mécaniques. Ç’a été l’une des manies du moyen âge de croire fermement à la valeur des machines intellectuelles et d’en confectionner beaucoup : machines mnémotechniques, machines à penser, machines à prier, machines à prêcher. Ni au XIIe siècle, ni au commencement du XIIIe, la prédication n’avait eu de règles fixes, de recettes imposées : elle avait été d’abord grave, affectée, littéraire, puis familière et vivante, mais elle avait toujours été originale ; et c’est pour cela que, à des degrés divers, elle sait plaire encore. Des théoriciens vont malheureusement mettre bon ordre à cet état de choses ; ils formuleront les lois du genre parénétique ; ils substitueront à l’invention individuelle une série d’opérations automatiques, et les praticiens ne manqueront pas pour construire les pièces et les ressorts du mécanisme indiqué par la théorie.